Dans la précédente chronique, nous avons laissé Auguste NAYEL à la fin de l'année scolaire 1906-1907 et de sa carrière d’enseignant au lycée. Il meurt subitement moins de 2 ans plus tard, le 15 mars 1909.
Ses obsèques sont calées dès le 17 mars. Le proviseur, M. CHAUSSADE, se trouve en situation d’organiser la participation de l’établissement, d’en rendre compte au recteur et de dresser l’éloge du défunt...
Au fil de son allocution, nous croisons des personnages déjà identifiés que l’on peut retrouver via les liens mentionnés (petits encadrés bruns insérés dans le texte).
le 17 mars, jour des obsèques d'Auguste NAYEL, M. CHAUSSADE adresse 2 courriers au recteur. Le 1er le matin pour l'informer des dispositions prises pour permettre aux enseignants de participer, et le 2nd pour lui restituer les éléments marquants de la journée. (AD35 T 243, dossier individuel Auguste NAYEL).
A M. le recteur de l’académie de Rennes
J’ai l’honneur de vous rendre compte que les obsèques de M. NAYEL, professeur de dessin en congé, décédé subitement lundi 15 mars à 9h à son domicile ont eu lieu ce matin 17, à 10 h.
Le convoi funèbre, encadré par une délégation de 24 de nos pensionnaires sous la conduite d’un surveillant d’internat auxquels s’étaient joints beaucoup d’externes était suivi d’un nombreux cortège de parents, d’amis et de collègues du défunt. Aux premiers rangs, on remarquait M. le Vice-Amiral L ? et M. le général J ?. J’ai vivement remercié ces deux officiers généraux des marques réitérées de sympathie qu’ils donnent au lycée.
Les cordons du poêle étaient tenus par MM. MAYEUX, secrétaire général de la mairie, MILLET, professeur honoraire, OGE, professeur de dessin et par moi-même, à la prière de M. LE COZ, interprète de madame NAYEL.
Après la cérémonie religieuse célébrée en l’église Sainte-Anne-d’Arvor, l’inhumation a eu lieu au cimetière de Lorient.
Devant la tombe, trois discours ont été prononcés : le 1er par M. GALLOT architecte, ami personnel de M. NAYEL, le second par moi-même et le 3e par M. LE GRAND au nom de l’association amicale des professeurs du lycée.
Je vous adresserai prochainement le texte de mon allocution. CHAUSSADE ”
Deux jours plus tard, le 19 mars, il adresse l’article du “Nouvelliste” restituant également les obsèques. Cette coupure, conservée dans le dossier d’Auguste NAYEL, à la suite de ses états de service et de ses notices individuelles annuelles, consigne l’intégralité des 3 allocutions.
Celle de M. CHAUSSADE permet d’admirer sa capacité à appuyer l’image positive du professeur dont il espérait le départ quelques mois plus tôt. On comprend d’ailleurs que c’est bien d’un congé dont Auguste NAYEL bénéficie et non encore d’une retraite.
M. CHAUSSADE n’en est pas moins sincère sur l’homme et sur sa production artistique. Son allocution apporte également un éclairage précieux sur de nombreux détails :
« Messieurs,
Si la mort soudaine est clémente en quelque sorte à celui qu’elle frappe, en lui épargnant les inutiles souffrances de l’agonie et de l’affreuse vision de la fin, combien elle est cruelle aux parents que ce coup imprévu accable et laisse consternés ; combien cruelle surtout quand elle les surprend en plein rêve de bonheur ! Et c’est à la veille de la réalisation d’un rêve très cher que notre malheureux collègue est emporté brusquement. Connaissant dans une famille amie une jeune fille douée des plus précieuses qualités de grâce, d’esprit et de cœur, M et Mme NAYEL songeaient quelle aimable et douce compagne elle serait pour leur fils. Mais si grand que fût leur désir de voir se former cette union, jamais ils ne s’étaient ouverts à lui de ce tendre projet, pour laisser à sa raison et à son cœur toute la liberté d’un choix d’où dépendait le bonheur de sa vie entière. Mais aussi avec quelle joie ils avaient appris, il y a quelques jours à peine, que les sentiments du jeune officier s’accordaient avec leur secrète pensée.
Et c’est dans les préparatifs de l’heureux évènement que la mort a surpris notre ami : elle l’a surpris le ciseau à la main, au moment où le vaillant ouvrier, qui ne connut jamais l’ennui ni le repos, travaillait avec tout son art, avec toute son âme, à l’achèvement d’une œuvre charmante, destinée à embellir le nouveau foyer.
Le petit cabinet à gants et voilettes : le dernie ouvage d'Auguste NAYEL, resté inachevé : les motifs des côtés sont portés au crayon et en attente de sculpture. Seul le bas d'un des deux côtés a été entamé. En haut un médaillon porte les initiales entrelacées de la future Marguerite NAYEL, encore Marguerite LE COZ... (meuble conservé dans la famille). Il est amusant de noter que les motifs projetés, très classiques, reprennent ceux du buffet réalisé en 1870.
[…] Pourquoi faut-il qu’il soit privé de la joie suprême, et que la mort jette son ombre de tristesse et de deuil sur l’aube naissante du bonheur de son fils ? Ce fils que la distance tient éloigné du pieux devoir qui l’appelle aujourd’hui près de cette tombe, ce fils qui ne sait peut-être pas encore que son père n’est plus, c’est vers lui que va notre pensée attristée, dans une épreuve toujours douloureuse et que les circonstances ont rendue plus émouvante ; elle va vers sa mère, seule ici, pour pleurer un époux tendre et cher.
M. NAYEL, officier de l’Instruction publique, professeur au lycée, directeur des cours municipaux de dessin, de modelage et de sculpture, conservateur du musée, meurt à 64 ans. Il naquit à Lorient le 16 mai 1845. Entré à 14 ans à l’arsenal comme apprenti, il en sortit ouvrier sculpteur 4 ans plus tard. Après un nouvel apprentissage technique et pratique à Angers où tout en travaillant dans une maison de sculpture, il suivit les cours de l’école des Beaux-Arts, il revint définitivement se fixer dans sa ville natale et, jusqu’à sa mort, son existence ne fut plus désormais qu’une suite de jours de travail gaiement accompli, partagés un peu plus tard du moins entre son métier captivant d’artiste et sa tâche plus ingrate de professeur. Un jour pourtant en 1870, il quitta l’ébauchoir pour prendre le chassepot de garde mobile. Sergent major au 1er bataillon du 31e régiment, il subit les angoisses et les souffrances du grand siège. Maintes fois, il se signala par sa bravoure dans les sorties stériles sous les murs de Paris, et, à défaut d’une autre récompense qu’il avait amplement méritée, il eut l’honneur d’être élu lieutenant d’une voix unanime.
Sa carrière de professeur au lycée ne commença qu’en 1882. Pourvu des plus hauts titres exigés par sa fonction, il la remplit pendant 25 ans avec une compétence incontestée, une conscience et un zèle que récompensèrent la reconnaissance de ses élèves, l’estime de ses chefs et les distinctions honorifiques que l’Université confère au dévouement et au savoir de ses maîtres.
En congés depuis 1907, il attendait sa retraite prochaine. De sa peine dépensée sans ménagement au lycée ou dans les cours municipaux, il ne reste après la mort aucune trace visible ; mais le professeur était doublé, vous le savez messieurs, d’un excellent ouvrier, d’un artiste fécond dont les travaux variés assurent une longue durée à son nom. Angers, Brest, Lorient, et combien de collections particulières se sont enrichies de ses œuvres, œuvres taillées dans le bois, dans le marbre ou coulées dans le bronze.
Auguste NAYEL dans son atelier, rue Duguay-Trouin.
Son atelier, véritable musée en miniature, renferme des médaillons, des statuettes et des bustes, des meubles précieux où sa main patiente cisela ou modela en relief tout un peuple de figurines bretonnes du plus gracieux effet.
Avec sa Vierge colossale de Chenillé-Changé dans la Mayenne, et sa fontaine monumentale de Neptune, la vivante image de Bodélio, son Lutteur de Scaër, son Braconnier breton, sa Pêcheuse de crevettes, ses Matelots et tant d’autres effigies témoignent de la variété et de la souplesse de son talent, tour à tour classique et réaliste, sérieux et fantaisiste.
Et peut-être est-ce bien à la seconde manière qu’il doit sa principale originalité et le meilleur de son renom ; peut-être aussi est-ce à elle qu’allait sa prédilection. Amusé par les attitudes et les gestes de la vie réelle, il a fait revivre, avec esprit, tout un petit monde de personnages dans la chaude coloration de la terre cuite.
Primel et Nola, terre cuite présentée au Salon de Saint-Brieuc en 1881 (médaille de vermeil) et au Salon de Lorient de 1885 (hors concours). L'oeuvre est entrée dans les collections du musée de Lorient, mais a été détruite par les bombardements.
Et parmi eux, son œuvre préférée fut, je crois, le couple gracieux de Primel et Nola, charmante idylle, inspirée par ces vers parfumés de Brizeux :
D’ailleurs, M. NAYEL, peintre des mœurs bretonnes, a plus d’une fois associé son nom à celui du barde armoricain, d’abord en modelant les traits de l’amie tendre qu’il chanta, et tout récemment ceux du chantre lui-même, dont une stèle en granit bleu dresse le fin visage au-dessus du vallon immortel d’Arzano.
Mais M. NAYEL ne fut pas seulement le soldat courageux, le professeur distingué dont j’ai rappelé le mérite, il ne fut pas seulement l’ouvrier laborieux et l’habile artiste que vous connaissiez avant moi, et dont ici même de douloureuses figures de marbre ou de bronze évoquent le talent, il fut aussi, et c’est mieux encore, un homme probe et droit, un ami fidèle au cœur loyal et sincère. Sa vie toute d’honneur et de travail mérite d’être donnée en exemple pour montrer jusqu’où peut conduire un esprit persévérant. Et si son effort avait trouvé sa récompense dans les joies de l’artiste, la droiture et la bonté de son âme avaient trouvé la leur dans l’affection des amis, et dans le bonheur calme et doux d’un foyer tranquille, auprès d’une compagne dont le charme et la tendresse ont embelli son existence, auprès d’un fils dont la carrière si bien commencée le remplissait de joie et de fierté. Hélas, il ne devait pas voir le couronnement rêvé de son bonheur domestique, et la mort brutale a fermé pour toujours ses yeux hier encore ouverts à cet espoir.
Adieu mon cher NAYEL ! Votre visage souriant et bon revit sur une belle toile ; de même dans notre mémoire vivra le souvenir de votre talent et de votre amitié. »
Lycée de Lorient, cabinet des modèles - Même si la photo date de 1922-23, l'essentiel de la collection de plâtres servant de modèles pour l'enseignement du dessin a été assemblé par Auguste NAYEL. Il en conservait d'ailleurs un inventaire. Album Tourte et Pétitin, 1923, collection privée.
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