Les MILLET sont venus déjeuner chez LE COZ. Antoinette GAUTHIER, la veuve d’Auguste NAYEL est là aussi.
Comme Joseph LE COZ, et comme l’était aussi Auguste NAYEL, Stanislas MILLET est professeur au lycée de Lorient. Il enseigne les lettres et est bien connu à Lorient pour les vers qu’il écrit et partage dans plusieurs revues ou journaux, à divers occasions solennelles, hommages ou autres évènements culturels.
Ces trois-là s’entendaient bien. Et l’amitié entre Joseph et Stanislas s’est prolongée après la disparition d’Auguste. Tous deux fils d’instituteurs, ils avaient des parcours parallèles et incarnaient pleinement la réussite par les études.
On peut imaginer que la photo a été prise au début des années 1920.
Chacune de ces familles a déjà connu ses drames : Antoinette est veuve depuis 1909.


Joseph et Aline quant à eux, étaient chacun veuf d’un premier mariage, et avaient perdu les trois enfants de leur union : deux en bas âge, et plus récemment, Yves, le fils bien aimé, pilote d’avion et commandant de l’escadrille C64, tué le 1er janvier 1917.
Les MILLET, quant à eux, venaient de perdre leur fille aînée, Jeanne. Née en 1886, elle avait épousé en 1917 Émile PIRAULT, un Saint-Cyrien. Sans doute ce qui rapprochait encore les familles. Émile était néanmoins un peu plus jeune que Louis, le fils d’Auguste et d’Antoinette qui était également le gendre de Joseph et Aline. Il était passé à Saint-Cyr deux ans après lui, mais comme lui, Émile avait commencé sa carrière en Extrême-Orient, avant d’être nommé à Madagascar. Blessé au début de la guerre, il avait été hospitalisé en Suisse puis prisonnier à Mayence. Il avait épousé Jeanne juste avant de prendre un nouveau poste à Constantinople, et d’être nommé consul en Roumanie.
C’est au cours d’une traversée Marseille-Constantinople que le navire sur lequel le couple voyageait avait sauté sur une bombe résiduelle dans le détroit de Messine, dans la nuit du 15 au 16 janvier 1919. Il était un peu plus de minuit, et le bateau avait sombré en 3 ou 4 minutes. Seulement 131 passagers ont survécu sur les 660 passagers que comptait le navire.
Mais pas Jeanne.
« J’attribue le nombre considérable de pertes de vies humaines au fait que l’accident a eût lieu la nuit, alors que tous les passagers étaient couchés et au fait que l’explosion a dû se produire entre la cale 1 et la cale 2, défonçant la cloison étanche et provoquant un envahissement presque instantané de la partie avant qui contenait le plus grand nombre de passagers. » (récit du commandant Jean Baptiste CALVIES).
Ces dimanches partagés permettaient d’oublier un peu ces malheurs. D’autant qu’Aline et Joseph LE COZ savent inventer des moments de complicité.
Ce jour-là, il y a au moins deux autres convives, chacun avec un appareil photographique. Mais il n’y a que trois chaises face à l’appareil sur pied !
Quel était le sujet de cette séance photo ?
Joseph, en tout cas, semble s’en moquer et ruiner l’entreprise !
Difficile de savoir dans quel ordre ont été pris les clichés et de reconstituer la scène, mais on devine les échanges de plaisanterie, y compris dans l’index levé de Joseph qui se retourne vers Antoinette.
Peut-être menaçait-elle de rejoindre Amélie MILLET qui semble s’être refusée à prendre la pause ? Il faut que Stanislas la rejoigne pour un troisième cliché. Et encore semble-t-elle plus intéressée par son ouvrage que par le photographe !
D’ailleurs, ce jeune homme – un fils MILLET ? – assis sur le dossier de la troisième chaise est-il le photographe que l’on voit régler son appareil sur l’autre cliché ? C’est peut-être faute de réussir à faire poser sérieusement ses parents et leurs amis qu’il a finalement choisi lui aussi cette position ?
Et il reste l’énigme de savoir qui est le photographe du photographe ? Celui qui est pris alors qu’il croyait prendre…
Mais qu’importe toutes ces questions !
Ces instantanés sont des moments d’intimité précieux. Côté jardin. Des contrepieds aux photos officielles du lycée. Chacun s’y attache pour prendre une pose attachée à son rang et à son image. Un autre versant de sa propre image… Côté ville.
Petit jeu pour finir : à vous de retrouver Auguste, Stanislas et Joseph sur cette photo des professeurs du lycée de Lorient de l’année scolaire 1898-1899.
1er en bas à gauche ?
Joseph 2e en partant de la gauche 3e rangée ?