"Ma chère petite tante,
Voici le portrait de deux criminels... coulant des heures heureuses dans une barque sur la rivière d'Yerres à Brunoy.
Bons baisers à notre chère petite tante,
Louise LAURENT, 16 septembre 1909."
C’est Louise, une cousine éloignée qui transmet à Antoinette GAUTHIER, mon arrière-grand-mère, cette photographie tirée sur papier carte postale de son fils et de sa belle-fille, avec ces quelques mots au verso.

Ce la fait tout juste 3 semaines que Louis NAYEL (1877-1947) et Marguerite LE COZ (1886-1924) se sont dit “oui” à l’hôtel de ville de Lorient. Louis avait 32 ans et Marguerite 23.
Cela fait longtemps que ces deux là se connaissent, mais ils ont attendu avant de prendre leur décision et de la partager à leur famille. Leurs pères sont collègues au lycée de Lorient : statuaire réputé à Lorient, Auguste, le père de Louis y est professeur de dessin ; Joseph, le père de Marguerite, enseigne les mathématiques.
Louis NAYEL est officier colonial. A sa sortie de Saint-Cyr (1898-1900), il est parti en Chine (1902-1904), puis à Madagascar (1905-1907) et en Algérie. Il était en poste das le sud-Oranais au moment du décès de son père le 15 mars 1909.
“… C’est au moment où ils allaient jouir d’une retraite si fièrement gagnée et où leur cher fils, cet officier travailleur et consciencieux comme son père, devrait rentrer en France, heureux de retrouver les siens et de voir se réaliser de chers projets, que la mort est venue brusquement séparer ces cœurs si tendrement aimés…” Extrait du discours de Stephen GALLOT lors des obsèques d’Auguste NAYEL le 18 mars 1909 (Le Nouvelliste du Morbihan, 19/3/1909)
Louis rentre quelques semaines plus tard, mi avril.
Le mariage était déjà prévu pour se dérouler durant l’été. D’ailleurs Auguste travaillait à un cabinet en bois à destination de sa future belle-fille : un petit meuble pour ranger voilettes, gants et mouchoirs, resté inachevé mais conservé dans la famille.
A mon fiancé / A ma fiancée bienaimé.e
En dépit des circonstances douloureuses, les deux amoureux échangent ces photos qu’ils se dédicacent mutuellement quelques jours après le retour de Louis.


Et malgré le deuil, le mariage est maintenu à la date prévue.
Le choix des témoins rend compte de la notabilité des deux familles. Deux oncles, tous deux chevalier de la Légion d’honneur : Claudius GAUTHIER, l’oncle maternel de Louis, 65 ans, ancien Président du tribunal de commerce de Lorient et Yves Marie LE COZ 66 ans, l’oncle paternel de Marguerite, directeur des contributions directes de Seine-et-Oise. Deux cousins indirects ensuite : Pierre OLIVIER 73 ans, mécanicien, inspecteur de Marine en retraite, officier de la Légion d’honneur et l’avocat Prosper SORET, 39 ans. Là encore, l’éloignement des parentés n’exclut pas des relations inscrites dans la durée. Nicolas HUTIN, gendre de Pierre OLIVIER est l’un des meilleurs amis de Louis ; il est aussi le témoin du mariage de Marie LE COZ (la soeur de Marguerite) et de René NAYEL (le cousin de Louis) 3 ans plus tard. Et nous même avons gardé des liens étroits avec Madeleine SORET, la fille de Prosper, jusqu’à son décès en 1994.
C’est donc début septembre, quelques jours après leur mariage, que les tourtereaux partent roucouler à Paris. Chaque séjour dans la région parisienne semble être l’occasion d’une visite chez les cousins LAURENT établis à Brunoy (Essonne). A l’inverse, chaque déplacement en Bretagne des descendants du médecin du Faouët comptent avec une pause chez Antoinette.

Conséquence attendue du mariage…
Marguerite nait le 6 août 1910 à Lorient, pour le plus grand bonheur de ses parents et de ses grands-parents.


Mais une nouvelle affectation attend Louis : Marguerite - que tout le monde appelle Guitou - n’a que quelques mois lorsque toute la petite famille part à Madagascar.
L’éloignement incite à multiplier lettres et photographies pour échanger des nouvelles réciproques. Marguerite et les enfants écrivent souvent à leurs grands-parents. En revanche, en dépit de la richesse des archives familiales, je n’ai pas encore trouvé de lettres entre Louis et Marguerite qui permettraient de rentrer plus avant dans leur intimité.
Marguerite semble s’accommoder très bien de sa nouvelle vie. Dans une importante correspondance qu’il reste à dépouiller, elle raconte avec force détails les visites et échanges avec les autres colons et leur famille. Louis part parfois pour plusieurs jours en mission.


Marguerite et Louis, bis…
En 1913, un petit Louis vient compléter la famille. Pas de doute : Marguerite et Louis priorisent la continuité des prénoms familiaux au renouvellement ! Du coup, c’est le surnom de Loulou qui s’impose pour le fiston !
Mais à Madagascar comme en Europe, les évènements viennent bousculer la vie de chacun. Louis est mobilisé, rejoint le 32e régiment d’infanterie coloniale à Brest, participe à la défense de Maubeuge où il est fait prisonnier le 8 septembre 1914. Il passe toute la durée du conflit en captivité.



A la fin de la guerre, Marguerite part retrouver Louis en Suisse.
Quelques semaines plus tard, ils repartent avec les 3 enfants à Madagascar. La carrière de Louis se poursuit dans “la grande Ile” jusqu’à sa retraite en 1937. Trois autres enfants viennent compléter la famille : Madeleine (née en 1919), Rose-Marie (en 1922) et Paul (en 1924). Marguerite meurt des suites de la naissance de ce 6e enfant, et le bébé ne survit que quelques semaines.
Désormais, Louis pose seul avec ses enfants… avec un grand vide tout autour d’eux.
La “fiancée bien-aimée” est enterrée à Majunga avant que son corps ne soit rapatrié en France quelques années plus tard.
Et c’est Guitou (14 ans) qui assume désormais, auprès de ses jeunes frères et soeurs, le rôle de petite mère de famille.


En épilogue
C’était une bien belle aventure que celle dans laquelle mes grands-parents se sont embarqués (au sens propre) en 1909 ! Des “criminels” auxquels on accorde bien volontiers la grâce. Nos remerciements surtout, ainsi qu’à cette cousine Louise pour le petit mot adressé à Antoinette au verso de la photographie.
Pour retrouver les liens entre les NAYEL de Lorient et Louise LAURENT, repartez - via le lien ci-dessous - dans le billet :



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Quelle profusion de photos !!! super
Marie et Marguerite se ressemble vraiment. Ils