Lettres d'Occupation
Où l'on retrouve Louis MAYEUX, l'ami d'enfance de Louis NAYEL et le parrain de Madeleine NAYEL
Louis MAYEUX (1878-1844) a installé son cabinet de médecin à Cléguerec dont il est également maire. Il est marié avec Jeanne CHARRIER dont la famille, après avoir vécu à Nantes, est établie à Port-Louis.
Après avoir fait l’essentiel de sa carrière à Madagascar, Louis NAYEL est rentré en France en 1937 et s’est installé à Lorient avec ses 3 filles dans la maison de ses parents.
Lorsque la guerre éclate, les allemands choisissent de faire de Lorient leur principale base de sous-marins pour la façade atlantique.
Quitter Lorient ?
Dès 1940, des bombardements alliés frappent la ville. On a déjà vu qu’en septembre, ils avaient touché le lycée et forcé René NAYEL, le cousin et beau-frère de Louis, à quitter son logement de fonction pour partie dévasté.
Comme la plupart des lorientais, Louis NAYEL cherche une solution pour mettre sa famille et ses biens à l’abri. La maison de son ami de Cléguérec pourrait être une opportunité, mais les MAYEUX sont obligés de cohabiter avec un officier allemand. C’est sans doute parce que la situation révulse le médecin qu’il démissionne de son mandat de maire. La noirceur l’envahit au fil des lettres. Celles qu’il adresse à sa filleule Madeleine NAYEL, la fille de Louis, se font plus espacées et plus courtes.


Cléguérec, 8 janvier, Ma chère petite
Je sais que mes vœux vous ont été portés par Jeanne qui a pu la semaine dernière passer quelques rapides instants chez vous, mais je veux vous remercier des vôtres transmis par ta lettre. Santé pour 1941 – et bonheur relatif tout au moins, avec un dénouement des évènements aussi favorable que possible.
Ici, tout continue à bien aller, avec peu d’accrochages entre civils et militaires – de ce côté-là, nous avons de la chance – mais quand même, vive la liberté chez soi et au dehors.
Ces temps derniers, vous avez pu je pense laisser la cave à sa destination normale, qui est de garder les flacons et non les gens ! Jeanne vous a dit que nous assistons de très loin à vos vicissitudes et pensons à vous tous en ces moments pénibles où 10 minutes après leur passage ici nous voyons les zincs, ou plutôt le résultat de leur travail, à notre horizon du sud.
Dis à ton père que je le remercie de son mot, et que je pense doublement à lui ces temps-ci, occupé que je suis dans les moments de désœuvrement d’hiver à reclasser et à coller de vieilles photos où sa figure sympathique… et jeune… a sa large part, sans compter celles de Madagascar 1909. Cela me rajeunit en idées… moins en fait, hélas !
Toutes mes affections, toutes nos affections devrais-je dire à vous tous, et particulièrement à ma chère petite filleule que j’embrasse.
L. Mayeux
En 1941, les raids aériens sur Lorient s’intensifient
Louis NAYEL accélère ses recherches pour protéger ses biens, mais semble avoir du mal à aboutir. La suite de la correspondance se cristallise autour de ce sujet. C’est plutôt Jeanne, l’épouse de Louis MAYEUX qui prend la plume et échange, soit avec Louis NAYEL, soit avec sa fille aînée Marguerite (Guitou).
Mêlant de nombreux sujets d’actualité et de préoccupations, ses lettres évoquent fréquemment son neveu Adrien CHARRIER (1896-1980), marié depuis 1933 avec Thérèse GORISSE. Adrien a été élu maire de Port-Louis en 1934 après le décès de son père (Marcel, le frère de Jeanne) qui occupait jusque-là cette fonction.
Fait prisonnier en 1940, Adrien s’est enfuit et a rejoint l’Angleterre et les Forces françaises libres. Durant la période concernée par la correspondance, son épouse, Thérèse, semble vivre davantage à Cléguerec qu’à Port-Louis. Elle a un fils d’un premier mariage, André (1920-1944), qui y est mécanicien.


Sans date (mais une mention précise qu’une réponse a été apportée le 3 mars 1941)
Ma chère Marguerite,
J’aurais voulu plus rapidement te répondre mais j’avais beau chercher une chambre pour y mettre ce que vous désirez mettre à l’abri, je ne trouvais rien. Si les chambres n’étaient pas toutes réquisitionnées par les A. il y aurait de la place mais nos occupants sont partis depuis une quinzaine de jours interdisant d’occuper les locaux requis. De plus des quantités de lorientais ont loué des chambres pour en faire des garde-meubles et nos moyens sont très limités. Enfin, j’ai trouvé un local. Si Papa m’avait dit cela, il y a seulement 2 mois, j’aurais trouvé autre chose. La chambre a une cheminée [ ?] est saine. Vos valises y seront à l’abri. L’on me demande 400 francs et j’ai dit que dans une semaine je donnerais une réponse.
Je serais d’ailleurs en ce moment dans l’impossibilité de vous offrir le plus petit coin à la maison. J’ai une chambre et une mansarde prises par les occupants et je loge la bonne de Thérèse et la plus grande des filles. Thérèse passe ici environ la moitié de la semaine mais elle loge en dehors de la maison. Ce n’est ni très pratique, ni très confortable, mais c’est la guerre. J’avais accusé réception de son mandat à Papa et dans la même lettre je lui disais que quand il y aurait une occasion il me rendrait nos sacs. Ici, à part la nourriture, tout a été ratissé par les occupants. Pour l’alimentation avec des tickets l’on s’en tire et j’envoie chaque semaine des colis à Paris et à Nantes où le ravitaillement est déficient.
Ici, cela va à peu près. Louis a été très mal fichu pendant 5 semaines. Cela va mieux et le départ de nos locataires a fait un bien énorme au moral qui n’était pas bon. Nous retombons sur nos pattes et envisageons l’avenir avec sérénité. Nous avons été heureux des nouvelles données de vos prisonniers (*). Voilà le beau temps qui va venir heureusement pour eux. Votre tranquillité continue, ce n’est pas comme à Brest. Par malheur, votre tour viendra sans doute à nouveau. Enfin, c’est autant de pris et les nuits seront moins froides. Toujours sans aucune nouvelle d’Adrien. Le temps semble long et nous nous demandons si on parlait de Cherbourg. Il n’a pas été torpillé. Nous n’en parlons pas à Thérèse qui heureusement a une confiance inébranlable.
Et les études de Rosette et Madeleine, comment les choses se sont-elles arrangées ? Tous deux, nous vous embrassons tous les quatre bien affectueusement. Embrassez vos exilés et Anne (**) qui devait [ ?] dans sa nouvelle résidence. Jeanne Mayeux
(*) Louis (1913-1957) et Yves (Vonick, 1915-1992), les deux fils de Louis NAYEL sont prisonniers en Allemagne. Louis est marié depuis peu avec Anne LE GALL (**). Ils habitent à Saint-Nazaire où Louis est ingénieur aux Chantiers.
Le retour de Louis
14/5, Ma chère Marguerite,
Ta lettre nous a rendus tout joyeux. Le retour de Louis n’ayant pas été prévu a été pour vous tous une heureuse surprise. Il vous est rentré en bon état physique, c’est l’essentiel pour le moral. La présence de sa femme va le remettre promptement sur pied. Saint-Nazaire n’est pas en ce moment de tout repos. Pourvu qu’il ne leur arrive rien si les bombardements s’intensifient ! Enfin, il est préférable de n’y pas songer. Pour Vonick, il n’est certes pas question de retour mais que va-t-on faire de ces jeunes avec les projets de Darlan ? Ce n’est pas rassurant. J’espère que les jeunes seront récalcitrants. Pour la chambre que vous avez louée, cela n’a aucune importance. Le seul ennui c’est que plus vous tardez, plus il peut vous arriver des ennuis à Lorient, et alors vous serez trop tard pour vous décider. Des quantités de gens de Lorient ont emporté meubles etc ici, et dans tous les environs Guémené, Pontivy, etc. Pour le moment, nous n’avons pas de troupes. Nous en avons eu l’autre jour une nuit de passage, mais il y a beaucoup moins d’occupants. Ceux-ci sont sur les côtes nord à ? il n’y a en a presque plus seule une garde. Alors c’est la course au boulot, même ici. Le ravitaillement est devenu un problème. Nous avons de la viande 1 jour par semaine le matin, et encore pendant 2 heures environ. C’est le même ? en ville, et les derniers arrivés se mettent la ceinture car il n’y en a pas pour tout le monde. Et ce n’est que le commencement ! Au point de vue bétail, nous serons très rationnés jusqu’en septembre et à cette époque, qu’est-ce que les Allemands trouveront pour nous priver encore. En zone non occupée, il parait que c’est plus difficile que chez nous ! Et avec l’absence de colis, on peut essayer de soulager la misère. J’ai eu de Can… des nouvelles ? Enfin, ils sont encore en vie, c’est l’essentiel mais ils doivent eux aussi avoir retrouvé la ligne de leurs vingt ans. Ici, les santés sont meilleures. Nous venons d’avoir une belle période, mais il faisait vraiment froid. Le beau soleil a retapé tout le monde. Que pensez-vous des évènements sensationnels de ces jours derniers. C’est une guerre de coups de théâtre. Enfin le moral de nos côtés est bon et tous nous patientons dans l’attente de jours plus cléments. Louis est en balade. Il m’a chargé de joindre aux miens ses bien affectueux baisers pour vous tous sans oublier le ménage Loulou.


Côté déménagement, les choses s’accélèrent durant l’été 1941.
Pendant que Madeleine passe avec succès ses examens de droit, son père et sa sœur aînée organisent l’expédition de biens vers Cléguérec.
Lundi (21 juillet 1941), Ma petite Madeleine
Entendu pour le 28. Nous nous arrangerons toujours plus ou moins bien. Toutes nos félicitations pour ton 1er succès. Sommes convaincus que la 2e épreuve sera couronnée de succès. Par vous, nous aurons de vos bonnes nouvelles à tous. En attendant, baisers de Tonton Louis et de moi à la maisonnée et aux absents. Jeanne
C’est Madeleine et Guitou qui accompagneront ces objets.
Ma petite Madeleine (cachet 24 juillet 1941)
Heureuse de la bonne nouvelle reçue de Vannes. Te voilà enfin libérée. Quand tu vas nous venir, tu nous conteras tes projets si l’on peut en faire par ces temps incertains. Envoie-moi un mot dès que tu seras fixée sur le jour et l’heure de votre arrivée dans nos murs. Baisers à vous tous sans oublier votre prisonnier et votre rescapé d’Allemagne. Jeanne MAYEUX
[A la suite] Toutes les félicitations de ton parrain et ses baisers. D’ailleurs, bientôt nous allons t’avoir près de nous et tout cela pourra être donné directement. A bientôt, Louis Mayeux
Le mercredi 13 août, Guitou confirme à son père resté à Lorient que les bagages sont bien arrivés et s’apprête à repartir dès le lendemain.


Ce mercredi, Cher Papa, chère Rosette,
Les bagages sont arrivés hier soir. Nous pourrons finir de les mettre en place aujourd’hui et nous voulions prendre le car demain matin, mais Tante Jeanne nous a dit d’attendre celui du soir à cause du sacafo [NB : repas en malgache] (icna zana omby et mofo mainky) que nous pourrions avoir. A bientôt et bons baisers. Tout est bien arrivé et en très bon état. Guitou


Guitou et Rosette ont donc repris le car le 14 ou le 15 août. Elles ont dû adresser un mot dès le lendemain aux MAYEUX, et Jeanne s’empresse de répondre en évoquant un envoi complémentaire (“votre bardat” et quelques vivres). Le départ de la famille NAYEL vers Angers ne semble pas encore programmé puisque Louis MAYEUX attend la visite de son ami.
19 août 1941, Ma petite Guitou,
Contents de vous arrivés à bon port avec votre colis. Vous étiez serrés, dites-vous. Hier, c’était pris, il y avait 2 hommes montés sur l’échelle qui sert à grimper les bagages sur le toit. Vraiment voyager en ce moment n’est pas expédition de tout repos. Ces mots seulement pour vous dire que j’ai réussi à avoir le lapin qui m’était promis. Tatou le mettra au car vendredi soir avec un petit pain noir si elle peut s’en procurer un et samedi matin à 10h et quelques minutes vous pourrez aller cueillir votre bardat à la gare routière. Moi, je pars demain pour Trévou. Je rentrerai sans doute lundi si les empoisonneurs ne me mettent pas hors du logis. Baisers à vous tous. Nos souhaits à Papa et Loulou, et bon appétit dimanche. Jeanne Mayeux
[A la suite] Mon cher Louis, Je profite de la lettre de Jeanne t’annonçant « le lapin » pour t’envoyer mes meilleurs souhaits et les offrir aussi à ton fils qui sera des vôtres pour le 25. Je ne te donne aucune nouvelle, tes filles ont du t’en donner de nous de vive voix et te dire que nous avons été heureux de les avoir près de nous. Tâches un de ces jours d’être aussi gentil qu’elles et de venir prendre des nouvelles de tes meubles cléguerois. Bonne affection à tous, Louis
Le dernier courrier conservé témoigne de l’exode massif des Lorientais vers l’arrière-pays.
26 septembre 1941, Mon cher Louis,
Je reçois à l’instant le mandat et en allant à la poste, je vais payer ta propriétaire. Il était grand temps que nous mettions la patte sur son local. Tous ces jours-ci, les lorientais arrivent cherchant un gite et n’en trouvant plus naturellement. Les possibilités sont très limitées dans notre trou. En recevant ta galette, je me demande si je t’avais ??? tu m’en ??? donné les dimensions de la pièce en question. 3m50-4m environ. Vous avez eu de la chance jusqu’ici de passer à travers les bombardements. A Port-Louis, au coin de la rue de Thérèse, les 2 maisons faisant le coin de la rue de l’hôpital ont été très endommagées, et des gens tués ou blessés. Heureusement Thérèse était à Cléguerec car nous aurions été très inquiets ayant vu de loin fusées, projecteurs, etc.
Ici, la vie est paisible pour le moment. Nous n’avons plus d’occupant mais en attendons de nouveaux d’un moment à l’autre. C’est autant de répit moral de pris et cela fait grand bien à Louis quoiqu’il soit encore enrhumé.
Et vos prisonniers, vous en avez j’espère de bonnes nouvelles. Pouvez-vous vous ravitailler assez facilement ? Pour le beurre, cela devient difficile, enfin c’est peu de choses. Quand tu verras la possibilité d’envoyer des colis, préviens-moi à l’avance afin que je puisse m’en occuper. L’un de vous pourrait peut-être les accompagner afin que vous voyiez de quelle place vous pouvez disposer. Bien affectueux baisers à tous de nous deux. (Jeanne Mayeux)
Les heures sombres
Quelques semaines plus tard, les NAYEL quittent Lorient pour Angers où l’un des autres amis de Louis réside. Les lettres postérieures à ce déménagement n’ont pas encore été retrouvées.
René, le beau-frère et cousin de Louis, meurt fin octobre.
A Cléguérec, la vie continue. André PASCOT, le fils du 1er mariage de Thérèse, rejoint le groupe local des FFI et sert d’agent de liaison au colonel ROBO, membre de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) qui constitua en mai 1944 le 4e bataillon FFI dans le secetur de Pontivy.
Le colonel Robo est arrêté le 22 juillet 1944, transféré à Pontivy. André PASCOT est interpelé à son tour quelques heures plus tard. Après avoir été interrogé et torturé, il est abattu sur la lande de Malguénac où son corps a été retrouvé une quarantaine de de jours plus tard. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Cléguérec et à Port-Louis (où résidait sa mère et où il est inhumé) sur la plaque commémorative apposée en 2021 près du Mémorial des fusillés de la citadelle.
Louis MAYEUX n’a pas vécu ce dramatique épilogue, ni la fin de la guerre. Il est mort le 22 avril 1944. Jeanne MAYEUX lui a survécu 20 ans. Elle a été élue conseillère municipale en 1945 (à une époque où les femmes n’avaient pas encore le droit de vote). Elle avait laissé sa maison au jeune médecin venu remplacé Louis, et a vécu 2 ans dans un 2 pièces mansardé du centre de Cléguérec avant d’aller s’installer chez son neveu Adrien CHARRIER à Port-Louis.
Louis NAYEL et ses filles sont restés à Angers après la guerre : touchée par des bombes incendiaires, la maison familiale de Lorient est démolie dans le cadre du plan de reconstruction de la ville.
Des décors réalisés par Auguste NAYEL, il subsistait les médaillons de Léonard de Vinci et de Raphaël sculptés au-dessus des fenêtres du rez-de-chaussée, ainsi que la lucarne ouvragée.
Les meubles et les malles expédiés en 1941 sont restés avec Guitou à Angers jusqu’à la fin des années 1980. C’est dans ces malles qu’ont été retrouvées toutes les archives qui nous servent à écrire ces chroniques.
Merci à Marie-France LORANS de Cléguérec pour tous les renseignements fournis et pour l’envoi des photos de l’album des MAYEUX.
Une exposition sur Cléguérec pendant l’Occupation est proposée dans la salle du Conseil municipal du 19 avril au 12 mai 2025, accompagnée de 2 conférences :
le samedi 19 avril à 15h - Yann LAGADEC
et le 2 mai à 18h30 - Dominique LE MORZADEC
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bonjour,
merci pour votre histoire ; elle fait écho au livre que j'ai lu :
'par amour' de Valérie Tong Cuong qui se déroule à Brest ;
quel bonheur d'avoir toute cette correspondance .