Transport de corps
Le 17 septembre 1924, à 38 ans, Marguerite LE COZ meurt à l’ambulance de Majunga (Madagascar)
Elle avait mis au monde son 6e enfant, le petit Paul Virgile, 6 jours plus tôt.
Son mari, Louis NAYEL, reste avec ses trois filles – Marguerite 13 ans, Madeleine, 6 ans, Rose-Marie (ma mère) 2 ans – et son fils Yves, 9 ans.


Marguerite est mise en bière quelques heures après son décès, et enterrée au cimetière de Majunga. Sur le certificat de décès, le docteur MAINGUY, directeur des services de santé à Majunga indique qu’elle est décédée « par suite d’embolie ».
[Procès-verbal relatant l’ensevelissement de la dépouille mortelle de Mme NAYEL Marguerite Léonie et apposition de scellés sur la bière en bois. / L’an mil neuf cent vingt quatre, le mercredi 17 septembre à 17 h, nous FARGEAU Pierre, Commissaire Central à Madagascar, Officier judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République, / Vu la demande Téléphonique de Mr NAYEL, Administrateur des Colonies,
Vu l’Arrêté Ministériel – colonies – en date du 29 juillet 1916, notamment en son article 4,
Nous nous sommes transporté à l’Ambulance Militaire de Majunga où, en présence de Mr NAYEL, Administrateur des Colonies, mari de la défunte, de Mr le Docteur MAINGUY et de nombreux amis venus l’assister en cette douloureuse épreuve, nous avons fait procéder à la mise en bière de la Dame NAYEL Marguerite Léonie, née LE COZ le 13 mai 1886 à Evreux – Eure et décédée le dix-sept septembre à 4 h.
Avec toute la décence et le respect dus à la mémoire des morts, sa dépouille fut placée dans un cercueil en feuilles de zinc sur une couche de sciure de bois et de poudre de charbon. Le corps fut ensuite recouvert de sciure de bois mélangée à une solution désinfectante : tan de sulfate de fer. Il fut ensuite placé dans une bière en bois dur du pays de 3 cm ½ d’épaisseur dont les parois étaient reliées par des clous à vis. Le couvercle mis en place, cette bière fut fixée par trois pattes serrées à écrou. Nous apposâmes ensuite sur cette bière en bois, à la tête et aux pieds, deux empreintes à la cire rouge du cachet de notre commissariat.
Clos et transmis à Mr l’Administrateur en chef de Majunga, pour information.
Signé : P. FARGEAU. Copie certifiée conforme, Majunga le 03 novembre 1924 » Archives familiales [+ ajout d’une portion de phrase vraisemblablement oubliée : -tion de Mr l’Officier d’Administration THOBIE, de l’Annexe d’Artillerie de Majunga ami de la famille.]
Clos et transmis à Mr l’Administrateur en Chef, Chef de la Province et Maire de Majunga, pour information.
Signé : P. FARGEAU. Copie certifiée conforme, Majunga le 20 juillet 1926
Le petit Paul meurt 4 mois après sa maman, le 25 janvier 1925 « des suites de méningite » selon le certificat établi par le docteur MAINGUY.
Formé et exercé à toutes les vicissitudes de la vie aux colonies, Louis NAYEL connaissait les procédés d’inhumation permettant d’envisager le rapatriement des corps vers la métropole. Il a précieusement conservé toutes les pièces administratives nécessaires, ce qui nous permet aujourd’hui de reconstituer sa démarche et d’entrer dans de nombreux détails de cette douloureuse procédure.
14 mois de démarches administratives
Il fallait toutefois attendre le prochain voyage familial vers la métropole. Celui-ci s’annonce pour le printemps 1927, mais s’anticipe très en avance.
Le 20 juillet 1926, Louis NAYEL adresse au ministre des colonies, sous couvert du chef de province et du gouverneur général de Madagascar l’autorisation de « ramener en France à Lorient (Morbihan), aux frais du budget local de la Colonie, les dépouilles mortelles de [sa] femme […] et de son fils. » Il joint à sa demande les pièces administratives nécessaires : certificats de genre de mort, procès-verbaux de mise en bière et le permis d’inhumation délivré par la mairie de Lorient dès le 26 mars 1926.
Le 9 octobre 1926, un courrier du ministre de l’Intérieur adressé au ministre des Colonies autorise en retour « sous réserve des prescriptions règlementaires, l’entrée en France par Marseille et le transport à Lorient des restes mortels de Marguerite LE COZ et de Paul NAYEL » et une dépêche ministérielle du 19 octobre [n°3865] en informe Louis NAYEL : le ministre des Colonies l’autorise à « faire transporter en France les restes mortels de son épouse et de son fils […] sous réserve que les prescriptions de l’arrêté du 29 juillet 1916 soient observées. »
Arrêté du 29 juillet 1916 déterminant les conditions d’exhumation et de transfert en France des restes mortels des personnes décédées aux Colonies. Article 206 / chapitre II Transfert et restitution des corps. Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre.
La décision du Gouverneur général de Madagascar arrive 3 mois plus tard, le 29 janvier 1927. Les permis d’exhumer sont délivrés dans la foulée par la mairie de Majunga le 7 mars après signature de l’administrateur-maire G. COCHARD.
L’exhumation a lieu le jeudi 17 mars 1927 à 9h
Elle donne lieu à un procès-verbal dressé par Edmond JALABERT, adjoint au commissaire, officier de police judiciaire.
« Nous nous sommes transporté accompagnés de Monsieur NAYEL, Administrateur des Colonies et de Monsieur le Docteur en médecine LARDILLON exerçant à Majunga au cimetière de Majunga à l’effet d’assister à l’ouverture des sépultures de Mme NAYEL née Marguerite LE COZ et NAYEL Paul.
La préposée à la garde du cimetière nous a désigné les tombes et après les avoir parfaitement reconnues sur le plan du cimetière, des fosses ont été ouvertes. Nous avons constaté que dans la première, la bière était totalement pourrie. Le cercueil en zinc était intact, nous l’avons fait placer dans une bière neuve en bois dur du pays de 4 cm d’épaisseur, laquelle fut refermée, le couvercle vissé et assujetti à l’aide de trois frettes en fer serrées à l’écrou. Sur les deux parois, à la tête et aux pieds nous avons apposé les cachets de notre Commissariat. Dans la deuxième, la bière en bois dur étant en très bon état de conservation et les cachets intacts n’a subi aucun changement.
En raison de leur destination outre-mer, les bières ont été mises ensemble dans une caisse rectangulaire en bois de sapin de 4cm d’épaisseur, laquelle a été transportée dans un local du service des Travaux Publics transformé pour la circonstance en dépôt mortuaire en attendant son embarquement à destination de France. Sur les deux portes d’accès à ce local, nous avons apposé sur chacune d’elle deux cachets de notre Commissariat.
Toutes ces opérations ont été faites en présence de Mr NAYEL et du docteur LARDILLON, avec toute la décence et le respect dus à la mémoire des morts. »
Le 3 avril, les caisses sont acheminées du dépôt mortuaire où elles avaient été conservées depuis le 17 mars vers le bateau qui va les emmener en France :
« Pour faire suite à notre procès-verbal n°237 en date du 10 mars 1927 concernant l’exhumation du cimetière de Majunga des restes mortels de Madame NAYEL Marguerite et de son fils Paul NAYEL, en vue de leur transport en France. Vu la demande à nous faite par Monsieur GARDES Denis, domicilié à Majunga, représentant Monsieur NAYEL, en congé en France, nous nous sommes transportés au local transformé pour la circonstance en dépôt mortuaire où avait été déposée la caisse contenant les bières et sur les portes duquel nous avions apposé sur chacune d’elles deux scellés au sceau de notre Commissariat.
Les scellés étant intacts, nous avons procédé à leur enlèvement.
Cette opération terminée, la dite caisse fût enlevée, escortée par nous et transportée à bord du s/s « Général Duchesne » se trouvant sur rade et remise au Commandant de ce vapeur en vue de son transport en France. Et des dites opérations, nous avons dressé le présent procès-verbal pour servir et valoir ce que de droit. “ [Procès-verbal dressé par le commissariat de police de Majunga]
Retour vers la métropole
Douloureuse coïncidence : le Général Duchesne est justement le bâtiment sur lequel la famille avait voyagé vers Madagascar début 1924. Le corps de Marguerite est donc acheminé dans les cales du bateau à bord duquel elle avait fait sa dernière traversée moins de 3 ans plus tôt.
Louis NAYEL et ses 4 enfants voyagent eux à bord du Chambord. Ils ont dû quitter Majunga le jour même ou le lendemain de l’exhumation puisqu’un courrier de Louis à sa mère indique que ce même 3 avril, ils s’apprêtaient à quitter le canal de Suez.
« Ma bien chère Maman, Nous voici en Méditerranée, et chaque tour d’hélice nous rapproche de Marseille. Nous avons bien reçu à Port-Saïd ta lettre n°66 et l’indication dont nous te remercions.
Sans savoir encore quel jour nous pourrons partir de Marseille, nous pouvons te dire toutefois que ce sera à 9h25 du matin, pour arriver le lendemain à 10h36 à Lorient. Loulou sera vraisemblablement arrivé et sais-tu ce que tu devrais faire si tes forces te le permettent malgré les fatigues de tous les préparatifs : ce serait de venir avec lui au-devant de nous jusqu’à Auray.
Il y a un train qui part à 8h22 de Lorient pour arriver à Auray à 8h58, alors que le nôtre y arrive une heure plus tard : ça vous permettrait de souffler un peu et nous serions si contents de vous voir une heure plus tôt.
Vous pourriez évidemment venir jusqu’à Vannes, mais il n’y a un battement que de 3 minutes pour changer de train, et c’est manifestement trop court. Je vous recommande donc instamment, si tu décidais de donner suite à cette proposition de vous arrêter à Auray. (Nous voyagerons en seconde)
Un télégramme t’avertira en temps utile du jour de notre arrivée à Lorient. Nous avons eu un calme absolument plat jusqu’après Port-Saïd, et nous avons seulement une mer houleuse depuis. Malgré ça, tout le monde tient le coup et il n’y a pas trop de défection à table.
Mais qu’il fait froid ! Au revoir, ma chère Maman et à très bientôt la joie, mêlée de beaucoup de tristesse, de t’embrasser, ainsi que Loulou et toute la famille. Les enfants courent sur le pont, y compris Guitou, et vous embrassent de tout cœur en attendant.
Ton fils qui t’aime. L.Nayel »


L’inhumation de Marguerite LE COZ et de Paul NAYEL a lieu à Lorient début mai 1927. Sans doute le 5, ce qui resterait à vérifier dans les registres d’inhumation du cimetière de Carnel.
Le budget de la sépulture
Dans le courrier qu’il adresse dès 1926 à son ministère de tutelle, Louis NAYEL précise le transport des corps se fera sur le budget local de la colonie. On retrouve deux reçus signés de sa main et payés à Majunga, l’un de 20 francs pour l’exhumation, l’autre pour 3,75 francs de copies d’acte de décès.
Les frais à Lorient sont bien différents : il faut payer 118,90 francs le 9 mai 1927 (20 fr. pour la fosse, 60 fr. de vacation, 9 fr. de fossoyeur, 24,90 fr. de timbre et enregistrement), 107 fr. pour les frais de convoi le 11 juin, 20 fr. de bénédiction payés aux Pompes funèbres générales et 300 fr. le 15 juin 1927 pour la réouverture du caveau familial (200 de droit de réouverture et 100 fr. pour le bureau de charité), soit un total de 545,90 francs.
Il n’y a aucune trace de facture pour le transport maritime et ferroviaire dans le dossier. Pas non plus pour la fabrication d’un nouveau cercueil et d’une caisse rassemblant les deux bières comme évoqué plus haut.
On note néanmoins des frais de porteur supplémentaire à Lorient ; on imagine volontiers le poids de l’ensemble compte tenu des descriptifs.
Un second deuil en famille
Marguerite est revenue parmi les siens et repose, avec son dernier fils, dans le caveau NAYEL aux côtés de son beau-père Auguste. Le caveau des LE COZ où repose son frère Yves est situé dans un autre secteur du cimetière.
Les voyages en France des “coloniaux” sont aussi - et surtout - l’occasion pour les enfants de passer du temps avec leurs grands-parents, et de se retrouver puisque l’ainé des garçons, Louis est au collège à Brest depuis 1923 auprès de son oncle René (censeur de l’établissement entre 1923 et 1927) et de sa tante Marie - la soeur de Marguerite.
A l’issue du séjour de 1927, Yves, le 2e fils reste également en France. Cette fois, c’est à Nantes que les deux garçons suivent leur oncle qui vient d’y être nommé censeur. Louis NAYEL repart avec seulement ses 3 filles.


Il poursuit dix ans encore sa carrière à Madagascar avant de prendre sa retraite en 1937, et de revenir s’installer à Lorient dans la maison de ses parents.
Tous les documents concernant la mort de Marguerite, de Paul et le rapatriement de leurs corps ont été précieusement conservés par ses soins, puis par sa fille aînée Marguerite. Tous ces documents familiaux seront déposées dans un fonds public d’archives.
Complémentaire du procès verbal d’inhumation de Marguerite LE COZ, celui de Paul, décédé à 4 mois :
« Procès-verbal relatant l’ensevelissement de la dépouille mortelle du jeune NAYEL Paul Virgile Joseph et apposition de scellés sur le cercueil en bois.
L’an mil neuf cent vingt cinq, le samedi 24 janvier à 17 h, nous FARGEAU Pierre, Commissaire Central à Madagascar, Officier judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République,
Vu la demande orale qui nous a été faite par Mr NAYEL Louis, Administrateur des Colonies, Adjoint au Chef de la Province, Maire de Majunga ;
Vu l’Arrêté Ministériel – colonies – en date du 29 juillet 1916, notamment en son article 4,
Nous nous sommes transporté au domicile du prénommé où nous avons assisté en présence de MM NAYEL et THOBIE, Officier d’Administration d’Artillerie à la mise en bière du jeune NAYEL Paul Virgile Joseph, né le 11 septembre 1924 à Majunga où il est décédé aujourd’hui à 8 h ainsi que l’atteste le certificat de décès.
Le cadavre fut placé dans un cercueil en plomb sur une couche de charbon de bois arrosée d’une solution de sulfate de fer. Il fut ensuite recouvert de cette composition.
Ce cercueil fut alors complètement et convenablement soudé, puis enfermé dans une bière en bois dur du pays dont les parois ont 4 cm d’épaisseur ; elles sont maintenues par 2 frettes en fer serrées à écrou.
Nous apposâmes ensuite sur ce cercueil le sceau de notre commissariat.
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