En 1994, l’historienne de l’art, Denise Delouche (1935-2024) écrivait qu’en raison de la destruction des musées de Lorient et de Brest pendant la Seconde Guerre mondiale, on ne connaissait que peu d’œuvres d’Auguste NAYEL, hormis celles conservées dans la famille…
N’étaient visibles alors que de celles qui étaient « immergées », et non celles « oubliées » dans les malles du garage de Tante Guitou. Leur déménagement il y a une vingtaine d’années, et leur ouverture a livré un lot significatif de pièces. Hormis les deux cariatides « malgaches », toutes les statues retrouvées et celles qui étaient chez ma mère sont entrées en collection au musée départemental breton de Quimper ; la garde-robe d’Antoinette au musée de Bretagne à Rennes… Il reste un volume conséquent d’archives dont le dépouillement continue à livrer bien des histoires. Il faudrait toutefois pouvoir s’y plonger de façon continue pour avancer pleinement.
La comptabilité d’Auguste NAYEL indique une production assez pléthorique. Outre des monuments funéraires, meubles, décors, il réalisait des bustes et nombre de statues et statuettes vendues à des particuliers ou dans des galeries.
Peu à peu, des pièces disparues refont surface, soit parce que le fil se déroule et nous amène jusqu’à elles, soit parce qu’elles reviennent toutes seules !
Statue oubliée recherche son histoire
C’est le cas de ce grand plâtre conservé pendant des décennies aux confins des Mauges et du vignoble nantais. La famille qui le possédait, elle-même originaire de Vendée, l’appelait « Le chouan ».
Comme souvent, c’est en vidant la maison que les enfants et petits-enfants se sont demandé quoi faire de cet objet encombrant. Personne ne savait ni comment, ni quand il avait été acquis. En le déplaçant, quelqu’un a remarqué à l’arrière du socle la signature A. NAYEL jusque-là peu visible. Internet a fait le reste pour qu’un des membres de la famille me contacte !

Je lui ai conseillé une salle des ventes, plutôt à Lorient, pour en tirer le meilleur prix. Après concertation, ils ont préféré me le céder pour un prix symbolique. Nous sommes allés le chercher début mai. Il a sagement fait le voyage dans notre C3, et occupe depuis un coin de notre salon. Il n’a toutefois pas vocation à y rester, mais pour le faire entrer en collection, encore faut-il le documenter !
L’enquête est ouverte…
Il est légitime de penser qu’un plâtre de cette taille était destiné à une exposition. L’emplacement d’une étiquette sur le devant du socle (il n’en reste que les petits clous) confirme cette hypothèse.
Première plongée dans les archives d’Auguste NAYEL et exploration de nombreuses petites photos de modèles ou de réalisations : bingo ! « Le chouan » s’était bien fait tirer le portrait ! Le cliché est néanmoins muet. Il ne donne ni titre, ni date.
Un détail vient toutefois compléter l’existant : l’étiquette existe bien ! On y devine 4 lignes de texte. Le tirage est néanmoins trop imprécis pour qu’on puisse lire. Peut-être s’agit-il de vers de BRIZEUX dont NAYEL était très amateur ? Ou d’un autre auteur ? On se souvient par exemple des vers de BODELIO au dos d’une photo de son buste.
Parmi les autres pièces d’archives, le petit carnet dans lequel Auguste NAYEL consignait toutes les expositions auxquelles il avait participé, les pièces présentées… On y lit qu’en 1891, au Salon de Saint-Brieuc, il avait présenté une sculpture intitulée La journée finie en même temps que 4 autres, sans préciser davantage la nature de ces œuvres. Peut-être que le catalogue du Salon (s’il en a existé un ?) donnerait quelques pistes complémentaires ? Voire compterait avec une reproduction des pièces exposées ?
“La journée finie”
Ce titre semble en tout cas correspondre au sujet représenté, mais il peut aussi correspondre à d’autres œuvres. Ainsi, une photographie d’Auguste dans son atelier donne à voir une statue (à gauche) d’une taille moindre, sans doute en terre cuite, mais d’une thématique proche.
Au jeu des différences, on note toutefois un homme plus jeune, à la tête relevée, tournée vers sa gauche, couverte de son chapeau et tenant ce que l’on devine être un manche d’outil, alors que notre “Chouan” représente un homme plus âgé, la tête tournée vers la droite, le chapeau coincé sous la jambe droite.
Un dress-code bien bavard
Si le thème de la chouannerie a effectivement inspiré Auguste NAYEL, imprégné des commandes réalisées par l’atelier dans lequel il travaillait durant son apprentissage à Angers, les rapprochements de notre plâtre avec les carnets de croquis conservés dans ses archives renvoient explicitement à un paysan de l’arrière-pays lorientais.


On y trouve des études plus ou moins précises qui parfois se répètent. En plus de confirmer qu’en cette fin de 19e siècle, la mode des campagnes était aux cheveux longs pour les hommes, elles permettent de faire le lien entre les croquis réalisés à Bannalec (non datés) et le groupe Deux vieux Bretons, terre cuite présentée au Salon de Paris en 1881 et à celui de Brest en 1884 (statue aujourd’hui disparue).



Le visage de l’homme assis semble, pour sa part, renvoyer à un homme “croqué” à Scaër “recopié” à plusieurs reprises dans les notes dessinées.


Le gilet plissé et la boucle de ceinture rattachent quant à eux clairement notre plâtre à des dessins réalisés au Faouët.



Portraitiste ou naturaliste ?
Auguste NAYEL excellait dans l’art du portrait. Ce talent lui a valu de nombreuses commandes de bustes ou médaillons pour des familles aisées. Pour ses choix “libres”, il semble que c’étaient davantage les physionomies marquées de paysans ou marins qui l’attiraient. On l’imagine volontiers repérant des “gueules” sur les quais des ports ou dans les communes rurales pour les “croquer” avant de les modeler.
Ces visages ne sont néanmoins jamais identifiés. Nous n’en saurons pas plus sur cette balade, la rencontre avec cet homme, qui il était…


La récolte de pommes de terre, La journée finie… C’est souvent, un moment ou une action qu’il choisit comme titre pour ses sculptures. Même si nous ne sommes pas assurés de celui-ci, nous notons que l’homme est marqué… Sans doute fatigué de sa journée. Peut-être aussi de son métier de paysan ? On sait qu’il a eu chaud : sa chemise et son gilet sont ouverts et on devine la sueur collée à ses cheveux.
Autant que la précision des détails, c’est bien le regard de cet homme qui nous retient. Au-delà de ses traits, et en dépit de cet anonymat, le talent d’Auguste NAYEL est de donner au portrait une dimension psychologique. On devine que ce paysan connait bien la terre collée à ses sabots et pourrait nous en dire beaucoup sur la vie au Faouët.
Mais on peut aussi penser qu’il est peu probable qu’il ait vu la pièce qui le représentait. A-t-il même su que son image serait exposée à Paris dans un salon d’artistes ?
Pas d’analyse sociale chez NAYEL, peut-être même une réserve - une timidité ? - à parler des gens / aux gens autrement qu’au travers de son indéniable talent à donner une réelle personnalité à ses sculptures, et un attachement profond à partager le pittoresque d’une Bretagne qu’il aimait parcourir. Comme d’autres à la même époque collectait des contes ou des chants…
Merci à la famille FONTENEAU de nous avoir contacté et d’avoir souhaité voir leur “Chouan” revenir vers sa famille d’origine.
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