"Institutrice distinguée, cultivée et dévouée"
Lorsque l'administration enrichit la mémoire familiale
Outre le concours qui formalise leur recrutement, les réformes de 1882 et 1886 impulsées par Jules Ferry organisent les prémisses de l’évaluation des enseignants tout au long de leur carrière. Alors que l'école devient un pilier républicain, le ministère de l’Instruction publique (qui devient de l’Éducation nationale en 1932) a de plus en plus besoin de normaliser et centraliser les données des personnels.
Les “notices individuelles”
L’administration nationale se dote donc d’outils destinés à uniformiser le suivi des carrières. Cela permet aussi de gérer les affectations, justifier avancements, promotions et lorsque de besoin, les sanctions. Les “notices individuelles”, créées à la fin du 19e siècle et remplies chaque année, permettent de suivre chaque enseignant. Elles sont conservées dans les dossiers personnels consultables aux archives départementales du département du siège du rectorat (série T enseignement, affaires culturelles, sports).
Pour Marie LE COZ, c’est aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine qu’on peut donc les consulter. On y trouve également les dossiers de son mari René NAYEL, de son père Joseph LE COZ et d’Auguste NAYEL.


Au recto, ces notices regroupent des informations concernant l’identité de l’enseignant (nom, prénom, date et lieu de naissance), son parcours scolaire et universitaire, ses affectations successives, ses promotions et avancements. Au verso, elles portent les appréciations du chef d’établissement et de l’inspecteur visant à évaluer les méthodes pédagogiques et la discipline. Elles peuvent être complétées de l’avis du recteur, notamment lorsque l’enseignant est proposé à une promotion.
Le dossier de Marie LE COZ compte 8 notices retraçant sa carrière qui débute à la rentrée 1911 au collège de jeunes filles de Saint-Nazaire, s’interrompt au moment de son mariage (été 1912) : elle demande en effet un congé pour suivre René NAYEL à Brive. Elle retrouve un poste en septembre 1914 à Dinan et semble ne plus avoir d’activité professionnelle après l’été 1919.
Hormis une erreur d’inexpérience pointée par son 1er chef d’établissement vite rattrapée, ses qualités pédagogiques sont louées tant par les directrices que par les inspecteurs.

Les appréciations sont tout aussi élogieuses à Dinan. Lorsqu’elle y est nommée en septembre 1914, le collège de jeunes filles de la sous-préfecture des Côtes-du-Nord vient de s’installer dans une villa précédemment occupée par une “pension anglaise”. C’est une institution toute récente et le poste de Marie NAYEL est une création.
Elle vient rejoindre une directrice, Marie CARNUS, elle-même réputée pour ses “idées très libérales, connaissant admirablement la matière directoriale, d'un caractère très distingué, avenant et souple, [qui] a su en quelques années donner au Cours secondaire un essor inespéré." (L’Eclaireur dinannais, 13 avril 1912). En juillet 1914, Marie CARNUS a d’ailleurs été promue Officier de l'Instruction publique.




Le lien ci-dessous développe l’histoire du collège de jeunes filles de Dinan. On notera cependant que les documents cités orthographient “MAYEL” en place de “NAYEL” :
Alors que René entame de son côté sa 2e rentrée au lycée de Dinan, on peut imaginer l’enthousiasme du jeune couple, tous deux très engagés dans les valeurs de l’enseignement, à partager - au travers du poste de Marie - le démarrage de cette aventure pédagogique.
Marie CARNUS souligne les aptitudes de sa responsable des cours primaire :



En 1917, Marie CARNUS est nommée à Coutances et est remplacée par Jeanne DUCHATELET. Peut-être s’agit-il de l’épouse du médecin auteur des certificats figurant également dans le dossier de Marie comme justificatifs d’absences.
« Mme NAYEL a préparé le certificat de lettres au lycée de Versailles : c’est dire qu’elle est intelligente et cultivée…”
Toujours aussi positives, les appréciations de la nouvelle directrice et de l’inspecteur n’en comportent pas moins certaines formulations qui, aujourd’hui, surprennent :



On peut imaginer que les charges de famille autant que la carrière de René (nommé censeur au lycée de Pontivy à la rentrée 1919, puis affecté à Quimper, Brest, Alençon, Nantes et Lorient) ont décidé de la fin de sa carrière d’enseignante.
D’autres précieuses informations
Les mentions administratives de ces notices annuelles consignent néanmoins une carrière de 13 ans et 3 mois d’ancienneté (notice 1918-1919), ce qui signifie que les périodes de préparation du concours sont intégrées dans ce décompte. D’autres pièces détaillent les traitements versés durant les périodes de congé :



On trouve aussi des indications sur l’emploi du temps : du lundi au samedi de 8h30 à 11h45 et de 14h à 16h15 (sauf le mardi jusqu’à 10h45 le matin) et sur les effectifs réduits des classes de filles (18 élèves dans la classe de primaire en 1911-1912 à Saint-Nazaire, 20 en 1914-1915 à Dinan), traduisant les difficultés d’implantation de l’enseignement féminin.
Le dossier individuel de Marie LE COZ conserve également les certificats médicaux, leur bordereau de transmission et l’organisation des suppléances, confiées notamment à une demoiselle AUTRET, de Pont-l’Abbé, maîtresse d’externat dans l’établissement et qui s’acquiert avec bonheur de cette tâche.
Inimaginable aujourd’hui, une lettre de Joseph LE COZ adressée au recteur appuyant la prolongation de son congé de maternité :


Figure enfin dans son dossier un courrier du directeur de l’enseignement secondaire au ministère en date de 1915 adressé au recteur de l’académie lui demandant de signaler à Mme NAYEL qu’elle avait bénéficié par erreur d’une promotion d’ancienneté à laquelle elle ne pouvait prétendre…
Après avoir exploré la carrière de Marie, nous investirons bientôt celle de René… Rendez-vous pour cela en 2025 !
Si vous ne l’avez pas lu - ou si vous souhaitez le relire - retrouvez Léonie, la grand-mère paternelle de Marie, elle aussi institutrice. Les “notices individuelles” n’existaient malheureusement pas encore à son époque, les informations sont moins précises mais c’est avec elle et son mari Yves LE COZ que l’on peut ancrer l’engagement pédagogique de cette branche familiale…
beau travail de recherches ; félicitations
Merci à Élisabeth d'avoir retrouver ces documents concernant nos grands parents. Joyeux Noël et meilleurs vœux en attendant de nous revoir en 2025.