Le séjour du cortège impérial à Lorient se poursuit le lendemain, 14 août 1858.
Le matin, l’empereur passe les troupes en revue sur la Place d’armes et procède à des remises de décorations.
Pendant ce temps, l’impératrice visite asiles et établissements de bienfaisance avant qu’ils n’embarquent pour traverser la rade.
« (…) sur le débarcadère, la municipalité de Port-Louis, les juges de paix des cantons voisins et des députations de toutes les îles de l’océan attendaient l’arrivée de Leurs Majestés […].”
“Aux acclamations de la foule qui était montée sur les remparts, l’Empereur a franchi à pied, donnant le bras à l’Impératrice, la porte de la citadelle et s’est dirigé, suivi d’un nombreux cortège, vers la belle citadelle construite par Vauban. […]
L’Empereur s’est rendu dans un des bastions […], pour visiter les canons dit rayés, dont la portée est considérable et, après avoir fait faire en sa présence plusieurs épreuves de tir, Sa Majesté a conduit l’Impératrice dans l’appartement de la citadelle occupé momentanément par Elle lorsque, après l’affaire de Strasbourg, Elle dut s’embarquer pour l’Amérique.
Ce n’est pas sans une vive émotion que les personnes qui accompagnaient l’Empereur sont entrées dans le modeste réduit où l’homme méconnu que la Providence destinait à gouverner la France passa quelques jours avant de quitter le sol qui devait être un jour son Empire.
Là, une scène de touchante reconnaissance a eu lieu entre l’Empereur et la veuve d’un ancien garde du génie, Mme Perreaux, qui avait eu pour l’Empereur les soins d’une mère pendant le séjour de Sa Majesté (…). Et elle citait des détails intimes, elle montrait à l’Empereur les meubles dont Il s’était servi [….], le bol de faïence dans lequel on Lui servait le thé, la bonne Vierge dite de Marseille et le portrait de Henri IV qui ornait Sa cheminée recouverte de tasses de café qui y sont encore.
Vous souvenez-vous, lui disait-elle avec naïveté, qu’un jour, j’étais à chercher des draps dans le haut de cette armoire, et vous m’avez donné la main pour descendre ?
Je vous la donnerai encore aujourd’hui, ma bonne mère dit Sa Majesté en tendant la main à Mme Perreaux.
Pendant ce dialogue, l’Impératrice était émue et souriait avec attendrissement ; l’Empereur S’est enquis avec sollicitude de la position de Mme Perreaux : Il a appris qu’il lui restait deux enfants, dont l’un sergent-major du génie au siège de Constantine, se trouvait dans une position difficile par suite des charges que lui imposait une nombreuse famille.
Sa Majesté s’est empressée d’assurer leur avenir, et est sortie comblée des bénédictions de ces braves gens, chez lesquels Elle avait apporté le bonheur avec Elle. […] »
JM Poulain-Corbion, Récit du voyage de Leurs Majestés l’Empereur et l’Impératrice en Normandie et en Bretagne, août 1858.
Écoutons Joseph NAYEL nous raconter le début de cette traversée :
« Aujourd’hui, dimanche 20 novembre 1836, l’ordre est donné à la frégate Andromède de se disposer à prendre la mer immédiatement, et de recevoir à bord le prince Louis Bonaparte détenu à la citadelle de Port-Louis. […]
Nous fîmes route pour sortir des passes ; peu après nous joignîmes une péniche portant le prince Louis Napoléon Bonaparte, accompagné de monsieur Villemain, sous-préfet, et de monsieur Fénoux, commandant du stationnaire de Port-Louis.
Le prince monta à bord ainsi que ces deux fonctionnaires qui le remirent au commandant de la frégate, monsieur Henry de Villeneuve, et se rembarquèrent aussitôt dans leur péniche. […] Le prince resta seul, sans même un domestique, une simple valise paraissait contenir tous ses effets. Malgré que nous fussions prévenus de son arrivée, son entrée à bord dans cette condition me fit éprouver une douloureuse impression ; sa position délaissée, les souvenirs que son nom réveillaient, la pensée de ce qu’il eut pu devenir si sa famille entière n’eut été enveloppée dans cette prodigieuse catastrophe qui renversa le plus grand souverain dont la France s’honore, sa figure noble et martiale, tout en lui en ce moment commandait l’attention et le respect. Je souffrais de le voir ainsi seul, isolé, sans bagages, sans un ami auquel il put communiquer ses sensations, avec lequel il put s’épancher. Privé de sa liberté et d’une foule de choses devenues pour lui des nécessités de la vie, le voilà lancé sur un élément qui lui est étranger et entouré d’êtres peut-être prévenus contre lui ; bientôt il va joindre les maux physiques aux peines morales, quelques pieds carrés lui sont destinés dans la partie arrière de la frégate. C’est dans cet étroit espace qu’il doit passer bien des jours avant d’arriver sur la terre de l’exil ! […]
Journal de Joseph NAYEL, 1836-1837, archives familiales.
Nous publierons un jour la totalité du journal de cette longue traversée.
Mais laissons Joseph à ses souvenirs, et retrouvons Poulain-Corbion et le cortège impérial :
« De retour à Lorient, l’Empereur S’est rendu immédiatement à l’arsenal.
En passant devant les travaux qui s’exécutent dans le port pour faire un bassin de radoub, Sa Majesté a exprimé le désir que cette construction s’achève avec le plus de rapidité et soit terminée dans le plus bref délai possible.
Passant ensuite devant plusieurs bâtiments en réparation ou en construction, que les ouvriers avaient décorés de guirlandes et de feuillages, Sa Majesté, suivie des officiers de Sa Maison, des ministres, du maréchal Baraguay d’Hilliers, du préfet maritime, d’une réunion nombreuse d’officiers et d’ingénieurs de la marine, est entré dans l’atelier de fonderie où l’on a coulé devant Elle une pièce de fonte de 3 à 4 000 kilogrammes.
Les ouvriers faisaient entendre avec une animation remarquable les cris de Vive l’Empereur !
Ils semblaient fiers de la confiance avec laquelle le Souverain se mêlait à eux, les approchait et leur adressait la parole : de son côté l’Empereur était heureux de cette réception chaleureuse qui Lui était faite également dans les autres ateliers du port. (…)
Dans les ateliers de l’artillerie, l’Empereur s’est fait donner par le directeur beaucoup de détails sur les nouveaux canons rayés dont Il venait de constater à Port-Louis les brillants résultats de tir : Sa Majesté a également accordé son attention à un grand cylindre d’épuisement destiné aux formes de radoub, à l’ingénieuse machine inventée pour faire des drisses de pavillon par M. Reech directeur de l’école du génie maritime qui, se trouvant présent, put en expliquer lui-même le mécanisme.
Enfin, à la forge, l’Empereur a remarqué un marteau-pilon de 3 000 kilogrammes mis en mouvement pour confectionner un arbre à hélice pesant plus de 1 000 kilogrammes.

Quelques heures plus tard, l’Empereur, accompagné de l’Impératrice traversait le port dans le canot impérial pour se rendre au chantier de Caudan : pendant le court passage de Leurs Majestés, une foule innombrable qui couvrait les deux rives du Scorff, Les saluait des acclamations les plus enthousiastes. Elles ont été reçues par M. Chedeville, directeur des constructions navales […].
Puis il a conduit Leurs Majestés sous une tente richement pavoisée d’où Elles ont pu suivre de très près tous les détails de cette intéressante opération. A peine l’aumônier de la flotte avait-il béni le navire, que les étais ont été enlevés au signal donné par l’Impératrice, et Le Calvados, glissant majestueusement sur ses coulisses, a pris possession de son nouveau domaine aux applaudissements de milliers de spectateurs.
L’Empereur a voulu féliciter M. Lemoine, ingénieur, constructeur du navire, et lui a remis de sa main la croix de la Légion d’honneur.

[…] Le soir, un bal fort brillant était offert à Leurs Majestés par la ville ; le 15 août au matin, les Augustes Hôtes de Lorient quittaient cette ville pour aller célébrer la fête de l’Assomption et la fête de l’Empereur aux pieds de la statue vénérée de Sainte-Anne des Bretons. » » JM Poulain-Corbion, Récit du voyage de Leurs Majestés l’Empereur et l’Impératrice en Normandie et en Bretagne, août 1858.
D’une fête, trois coups
Outre la fête mariale, le 15 août conjugue donc deux autres dates symboliques : la fête de l’empereur et l’anniversaire de Napoléon Ier.
Le 16 août, le cortège part pour Napoléonville (Pontivy), fait une halte à Colpo, où la cousine de l’empereur, la princesse Baciocchi les reçoit à déjeuner. Le voyage se poursuit en direction de Saint-Brieuc, Saint-Malo et prend fin à Rennes où l’empereur séjourne du 19 au 21 août avant de rentrer à Saint-Cloud.
Des deux côtés, le voyage en Bretagne est vécu comme un succès.
Le curé de Saint-Louis a obtenu de quoi agrandir son église. Le Président de la chambre de commerce a appuyé la nécessité de poursuivre le réseau ferré jusqu’à Lorient, améliorer les routes et aménager de nouveaux quais pour le port.
Joseph NAYEL a recommandé ses fils… Et l’empereur quant à lui a assis sa popularité auprès de la population.
Ce soutien ne dure néanmoins que tant dure l’Empire…
Pas sûre qu’Auguste ait eu autant d’admiration pour Napoléon III durant l’épisode du Siège de Paris.