Une Antoinette peut en cacher une autre
Quelle chance d’avoir l’album photos composé par mon arrière-grand-mère Antoinette GAUTHIER (1876-1937) pour explorer l’histoire familiale ! Grâce aux portraits qu’elle a réunis et légendés, les alliances se renseignent, les fratries se complètent et des visages s’attachent aux noms…
Le plus souvent, on y trouve des réponses à des questions qu’on n’avait même pas penser à se poser… Mais quand on y plonge pour chercher des réponses, on en sort souvent avec bien davantage d’interrogations !
Intentions (plus ou moins) cachées
Cela fait un certain temps que l’intuition m’est venue qu’Antoinette l’a composé après la mort de son mari Auguste en 1909. Mon indice : elle n’est pas en mesure d’identifier tous les mobiles du 1er bataillon du Morbihan partis avec lui pour le siège de Paris dont elle a intégré les photos dans les dernières pages.
L’album est aussi plus explicite sur sa propre famille que sur celle d’Auguste. Avec même des lacunes signifiantes pour les NAYEL : aucune photo de Louis, le frère d’Auguste, de sa femme Blanche et de leurs enfants ; des datations visiblement erronées pour les Vincent d’Amérique…
Et en m’attaquant à sa propre ascendance encore bien obscure (pourquoi son père, fils d’un marinier du Rhône établi à Vienne en Dauphiné est-il venu s’établir comme maître plâtrier à Lorient ?), sa photo est apparue sous un autre jour !
J’avais toujours trouvé étrange qu’elle soit là, entourée d’inconnus extérieurs à la sphère lorientaise alors qu’Auguste n’y figure pas. Tout était pourtant précisément écrit !
Antoinette n’est là qu’en pendant d’une autre Antoinette GAUTHIER !!
« Double généalogique »
C’est le casse-tête du généalogiste… Deux personnes portant le même prénom et le même nom. Les doubles sont d’autant plus fréquents qu’on a longtemps eu l’habitude de donner aux enfants les prénoms des parents et des parrains, qui sont souvent des oncles, des cousins, voire des frères ou sœurs – et qu’on multiplie ainsi les homonymes… Pour preuve, le nombre incalculable de Paul, Joseph, Vincent et Louis NAYEL (et qui se perpétue !).
Sans compter que le prénom « de registre » (paroissial ou état-civil) n’est pas toujours le prénom usuel. Ainsi, « notre » Antoinette GAUTHIER (mon arrière-grand-mère) s’appelle en réalité Marie Thérèse Antoinette…
Ces confusions entrainent souvent des erreurs, et parfois des doublons - qu’il faut alors fusionner lorsqu’on les identifie. Mais tout cela est cuisine de généalogiste !
Revenons à nos 2 Antoinette…
A gauche, « demoiselle Antoinette GAUTHIER, Vienne 1866, belle-sœur de l’oncle TERRET ci-dessus et sœur du père des GAUTHIER de Lorient »
A droite, « Antoinette GAUTHIER, de Lorient, 1861, née en 1846, nièce de la précédente (épouse Auguste NAYEL en 1871) »
La première est donc la sœur du père de la seconde, Claude GAUTHIER (1810-1858) qui a choisi de quitter les rives du Rhône pour les côtes bretonnes.
Quelle coquette cette Antoinette !
Antoinette s’est ainsi plu à se mettre en page à côté de sa tante, jouant à la fois de la similitude et de la différence :
- elle appuie son statut de femme dans la légende et ne rate pas celui de « demoiselle » de sa tante (comment ne pas y voir un trait un brin dépréciatif ?)
- la juxtaposition des deux photos joue largement en sa faveur ! jolie jeune femme élégamment coiffée et habillée contre tenue plus modeste, cheveux lissés et bonnet et traits plus lourds.

Là encore les dates sont approximatives.
La tante dauphinoise est en effet décédée en 1868, à 62 ans. Il est peu probable qu’elle ait eu 60 ans sur la photo… A l’inverse, peut-être Antoinette en avait-elle bien 15, mais peut-être en avait-elle aussi une dizaine de plus : il semble en effet qu’elle porte une bague à l’annulaire gauche – qui ne saurait être qu’une alliance 10 ans avant son mariage !
Alors… Antoinette yoyottait-elle un peu en composant son album ? On sait que l’âge favorise parfois quelques arrangements avec la réalité…
Sur la page de droite elle se désigne elle-même comme « Mme NAYEL mère » : donc après le mariage de son fils Louis (août 1909, quelques semaines après le décès d’Auguste ; son statut d’officier colonial ne lui ayant pas laissé le répit du deuil de son père), mais avant 1924 date du décès de sa belle-fille. Ce qui confirme la réalisation tardive de l’album.
On peut imaginer que son intention, en assemblant ces photos, était la transmission d’une mémoire familiale à ses petits-enfants… Cela expliquerait que ne figurent que ces membres distanciés et non ceux qu’ils fréquentaient lors de leurs séjours lorientais.


Sans doute la rigueur historique n’était-elle pas son fort, mais ces petites confusions nous en disent finalement bien davantage que des vérités historiques trop bien ancrées !
Le trésor qu’elle nous a laissé vaut bien en tout cas toute notre indulgence et notre reconnaissance.

