Le 11 octobre 1908, à Arzano, la vieille église ne suffit pas pour contenir la foule. L’abbé Kerdudo, premier vicaire de Lorient est aux côtés du curé de la paroisse. Ce n’est pas sa présence qui suscite une telle affluence, mais bien l’évènement qui suit.
Après la messe, tout le monde se dirige vers le pont de Kerlo. C’est l’endroit qui a été choisi pour ériger le monument dédié à Auguste BRIZEUX à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort.
Le poète BRIZEUX est né à Lorient en 1803.
Avant de partir à 13 ans au collège à Vannes, puis à Paris où il suit des études de droit et fréquente les milieux littéraires, il passe une partie de son enfance, ici à Arzano. Il reste marqué par un premier amour, qu’il retrouvait sur les bords du Scorff, là où la route de Plouay enjambe la rivière.
le 12 septembre 1831, la publication de Marie, le poème éponyme, enthousiasme le monde des lettres, en particulier Sainte-Beuve et Victor Hugo. Cette reconnaissance encourage Brizeux et, en lien avec Jean-François Le Gonidec, Emile Souvestre et de La Villemarqué, il continue à écrire, revendiquant en français et en breton son attachement à la Bretagne. En 1845, la publication de Les Bretons (1845) lui vaut la Légion d'honneur et le prix de l'Académie française (1847). En 1852, il dédie Primel et Nola à Alfred de Vigny, Victor Hugo et Prosper Mérimée. Hector Berlioz et Victor Massé, avec qui il est également lié, mettent en musique quelques-unes de ses oeuvres. .
« Prince des bardes bretons », Auguste Brizeux meurt en 1858. Le conseil municipal de Lorient lui offre une concession perpétuelle au cimetière de Carnel, sous un chêne, comme il le souhaitait.

Chaque anniversaire décennal de sa naissance ou de sa mort est prétexte à commémoration et suscite une grande ferveur.
En 1888, une souscription est lancée afin d'ériger un monument à sa mémoire.
Grand admirateur de Brizeux qui inspire nombre de ces terres cuites, sans doute Auguste NAYEL avait-il regretté que le sculpteur briochin Pierre OGE ait été choisi pour ce projet ? La statut du poète est inaugurée à Lorient le 9 septembre, en présence d’Ernest RENAN après que le cortège se soit d’abord rendu rue Poissonnière devant la maison natale du poète où une plaque (réalisée semble-t-il par Auguste NAYEL ?) est apposée.

En 1903, le centenaire de sa naissance est célébré à l'initiative du Clocher Breton, revue de Bretagne et des pays celtiques. Le 13 septembre, la journée se déroule essentiellement au théâtre pour un concours de poésie. En fin de journée, un orchestre de 80 musiciens joue le Bro goz ma zadoù.
Les fêtes de 1908 (50e anniversaire de la mort du poète) sont organisées par le comité lorientais des fêtes de BRIZEUX. De tous les coins de la Bretagne, on arrive à Arzano.
Plusieurs cartes postales sont réalisées à l’occasion de l’évènement.
Au pied de l’obélisque, les prises de parole se succèdent.
D’abord le maire d’Arzano, celui de Lorient, puis Théodore BOTREL, Ronan SAIB (pseudonyme de d’André DEGOUL, le mari de Madeleine DESROSEAUX, directeur du Clocher breton et ami d’Auguste NAYEL)… avant que Melle RIOU ne chante à nouveau le Bro goz ma zadoù.
Sur la stèle, on peut lire sur la face principale : A Auguste BRIZEUX 1803-1858 - octobre 1908
A droite : O Breiz izel ! o kaera bro ! koad enn he chreiz mor enn he zro ! / ni zo bepred / bretoned / bretoned tu kaled / (telen arvor)
A gauche : Un jour que nous étions assis au pont Kerlo / laissant pendre en riant nos pieds au fil de l’eau (Marie)
A l’arrière : Erigé en 1908, restauré en 1925 par les Amis de Brizeux de Lorient, Arzano, Pont-Scorff et Plouay - Breiz’h de viruikin !
En écho aux poèmes de Brizeux, un concours de lutte suit l’inauguration.
Parmi la foule, on compte de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Auguste NAYEL qui a dessiné la stèle en granit et réalisé le profil en bronze de Brizeux qui y est inséré.
Un bronze fondu à Auray
Le devis (en date du 24 juillet) et la facture (31 août) conservés dans les archives d’Auguste NAYEL indiquent que ce médaillon a été coulé aux ateliers CHAPAL d’Auray et a coûté 275 francs. Il a été réalisé à partir d’un modèle en plâtre livré par NAYEL, dans un délai très court après la prise de contact. C’est J. LE CORRE, fabriquant de meubles à Auray et lui-même ancien élève d’Auguste NAYEL au lycée de Lorient qui dans une lettre à son ex-professeur, recommande les ateliers CHAPAL. Ce qui laisse à penser qu’Auguste NAYEL n’avait pas fréquemment l’habitude de réaliser des bronzes et prenait l’attache d’interlocuteurs pour trouver un fondeur.
En regard de la mobilisation autour de l’évènement, on peut être surpris que la commande ne soit pas davantage anticipée.
Une note manuscrite rédigée le 24 septembre par un certain Daniel FOURQUET demeurant 2 rue de la Patrie à Lorient confirme qu’il se charge du montage du monument pour la somme de 325 francs.
Une facture datée du 6 juin 1908 d’un marchand de pierre pour une pièce de dimension sensiblement équivalente à celle du médaillon (0,55 x 0,35 x 0,12) peut laisser à penser que le projet initial était en marbre, et qu’une nouvelle orientation a été prise tardivement. La presse indique que le médaillon est resté exposé plusieurs semaines sous vitrine dans les bureaux du journal Le Nouvelliste du Morbihan à Lorient.
La fonderie CHAPAL est recommandée à Auguste NAYEL par un de ces anciens élèves du lycée de Lorient, J. LE CORRE, fabriquant de meubles à Auray. Cet échange laisse à penser qu’Auguste NAYEL réalisait peu d’oeuvres en bronze.


En regard des deux monuments lorientais - la statue de Pierre OGE et la tombe du poète -, et malgré la puissance symbolique de son implantation et la forte mobilisation du 11 octobre 1908, le monument de Kerlo reste modeste et discret.
Cette modestie est à l’image des contributions qui ont contribué à cette réalisation. Il est touchant de retrouver au milieu des devis et factures, la carte de visite l’institutrice d’Arzano adressant à Auguste NAYEL “un bon de poste de 5 francs, montant de son obole pour l’érection du monument au poète BRIZEUX.”
On imagine cette mademoiselle SCORDIA parmi la foule, aussi discrète qu’Auguste NAYEL…