Auguste NAYEL est né le 16 mai 1845… et il fête ses 15 ans à Paris en 1860 à l’occasion de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « voyage d’étude » intégré à son apprentissage d’ouvrier sculpteur à l’arsenal de Lorient.
(Autoportrait à 15 ans)
En ce 16 mai, 164 ans plus tard, suivons-le dans ses découvertes au musée de la marine, au Louvre, à l’école de médecine et dans les rues de Paris grâce aux lettres qu’il a adressé à ses parents.
Onze ont été conservées et transmises par son arrière-petit-fils Jean-Louis NAYEL en décembre 2023.
Et sans ajouter aux polémiques d’aujourd’hui (!), à quelques semaines des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024, savourons en introduction cette observation :
« L’eau de la Seine, n’est pas celle qu’on trouve à Keroman. Si chaud qu’il ferait, je ne voudrais jamais me jeter à l’eau dans cette rivière-là. La Vilaine est encore plus jolie »
(lettre d’Auguste Nayel à ses parents, 18 avril 1860).
(Le pont de Solférino, vu du pont de la Concorde. Baldus, 1860.)
Auguste NAYEL est entré comme ouvrier apprenti sculpteur le 1er février 1859 aux chantiers de construction navale de Lorient. En avril et mai 1860, il effectue ce voyage à Paris en compagnie d’un certain MELIN, dont on sait peu de choses, sinon qu’il « conduit » déjà le jeune Auguste à l’arsenal (lettre du 6 avril 1860).
Ce « tour » parisien faisait sans doute partie du parcours d’apprentissage, au moins des ouvriers les plus prometteurs.
Mes chers parents,
J’arrive à l’instant. Nous avons eu de la pluie depuis Rennes. Melle Constancia et Pichon étaient à nous attendre à la gare. Melle Constancia m’a parfaitement reconnu, mais pour Pichon, j’amais [sic] je ne l’aurais reconnu.
Nous sommes arrivés à 4h1/2 du matin à Rennes. Nous avons été prendre un café au lait en arrivant. Je n’avais pu fermer l’œil toute la nuit et nous avons couru dans Rennes toute la journée, ainsi vous pensez si j’ai bien dormi. Dans l’autel [sic] où nous avons descendu, l’on était très bien nourri très bien couché et nous avons payé 3 fr chacun.
Je ne peux vous écrire que quelques lignes. Nous allons dîner. M. Junot vous souhaite le bonjour. Melles Elise et Constancia vous disent bien des choses. Je vous donnerai plus de détails demain ou après-demain.
M. et Mme Melin ont une chambre tout près de M. Junot dans une maison très tranquille.
Je vous quitte, votre fils,
A. NAYEL, Paris, le 2 avril 1860
Le jeune NAYEL et MELIN arrivent à Paris le 31 mars 1860.
Cela fait seulement trois ans que Rennes est relié à la capitale par le chemin de fer, et cette partie du voyage a dû s’apparenter à une grande découverte.
La ligne n’atteindra Lorient qu’en 1862 et la première partie du voyage a donc dû s’effectuer en diligence, avec son lot d’incertitude sur les horaires, d’où la précision de l’heure d’arrivée.
A Paris, les deux apprentis sont accueillis avec bienveillance à la fois par un réseau amical visiblement attaché à la Bretagne, et par des contacts engagés entre l’arsenal lorientais et les institutions parisiennes.
Dès le surlendemain de leur arrivée, ils se rendent au ministère de la Marine pour rencontrer Antoine DE LA POIX DE FREMINVILLE (Paris 1821-Quimperlé 1888), polytechnicien, ingénieur du génie maritime, auteur de plusieurs ouvrages techniques de construction navale, et qu’ils retourneront voir le 27 avril pour faire prolonger leur séjour.
Ils vont aussi au musée de la marine et s’y entretiennent au moins à deux reprises avec le directeur, Antoine Léon MOREL-FATIO, qui invite d’emblée le jeune Auguste à venir y dessiner. Illustrateur, graveur et aquarelliste, peintre officiel de la marine depuis 1853, MOREL-FATIO (1810-1871) dirige en effet l’établissement qu’il a créé en 1850.
En 1860, il devient également maire du 20e arrondissement. Sans doute Auguste NAYEL s’appuie-t-il aussi sur des liens établis par son père au cours de sa longue carrière dans la marine ou de contacts établis à Lorient.
C’est ce que laisse à penser les échanges avec M. PRETO (lettre du 27 avril 1860), avec M. de FREMINVILLE (dont l’épouse est lorientaise) ou avec l’Amiral de GUEYDON (1821-1886) croisé au ministère de la Marine, et qui deux ans auparavant était Préfet à Lorient. Les lettres d’Auguste soulignent en tout cas la bienveillance portée à son égard par ces personnalités.
Mes chers parents
J’ai été ce matin voir M. de Fréminville. M. Melin lui a remis une lettre du directeur des Constructions navales. Il s’est informé de ce que je savais faire, m’a beaucoup engagé à copier le modèle vivant nu car il regarde le portrait comme bien peu de choses.
Il a parlé de me faire suivre le cours qui se faisait à l’école de médecine, c’est un cours préparatoire à l’école des Beaux-Arts en dessin d’académie le modèle vivant et on modèle un peu.
Il préférerait que M. Melin soit venu seul. Il est allé avec M. de Fréminville chez M. Morel-Fatio ils doivent lui parler de moi. La prochaine fois, j’irai avec eux.
J’ai été voir M. Moullins hier dimanche. Il a été très aimable et fait lui promettre de le tenir au courant de tout ce que l’on ferait pour moi et de la manière dont j’emploierais mon temps. Il a pris l’adresse de madame Junot et m’a dit que je le trouverais tous les jours à 8 heures du matin et le dimanche toute la matinée. Il me charge de te faire ses amitiés.
J’ai vu Hilaire Prioul hier matin. Il sortait de chez lui pour déjeuner. Melle Constancia l’a reconnu au bas de l’escalier. Il a été très content du gâteau. Il m’a dit que tout ce qu’il pourrait faire pour moi, il le ferait avec le plus grand plaisir. Je dois dîner ce soir avec lui. Il m’a demandé de vos nouvelles. Il m’a demandé si Louis travaillait bien, s’il se plaisait à l’école et a été très content de savoir qu’il était caporal.
Dufrene est venu chercher la commission. Il vous souhaite le bonjour.
J’ai été hier soir avec ces demoiselles faire la partie de comète (jeu qui approche beaucoup du nain jaune) chez M. Barthélémy. Il nous a invité à dîner dimanche prochain.
Pichon doit venir à la maison aujourd’hui de sorte que je lui donnerai du gâteau. Nous l’avons rencontré hier avec sa femme et M. et Mme Melin au Palais royal. Ce matin, M. Melin et moi avons fait une bonne course. Il fallait qu’il aille au Ministère de la marine pour faire viser sa permission et en même temps, nous avons vu les Champs Elysées, le Louvre, la Madeleine.
Nous nous débrouillons pas mal à Paris car nous avons fait cette course sans prendre aucun renseignement. Nous avions consulté le plan avant de partir.
Je dois voir Eugène Cadoret ce soir. Mme Junot a été enchantée de sa pèlerine.
Ces dames ainsi que M. et Mme Melin et M et Mme Pichon vous disent bien des choses.
Souhaitez le bonjour de ma part à mon oncle et ma tante Nayel, Me Guignot ( ?), ma tante Agathe, à Paul à mes oncles et tantes cousins cousines Granger et finalement tous les amis et connaissances.
Embrasse Maman Nayel pour moi.
Bien des choses à la mère Le Fran.
Je vous embrasse,
A. Nayel
PS : On trouve que j’ai l’accent breton très peu prononcé. Le temps est tout à fait sombre et il fait de la pluie et un vent à tout renverser. Je crois que je me plairais à Paris. Je croyais d’après ce qu’on m’avait dit que c’était beaucoup plus bruyant.
Sur les conseils et avec l’appui de ses interlocuteurs, Auguste intègre à compter du 20 avril les cours de l’école de médecine.
« Je suivrai le cours du mardi qui se fait de 7h30 à midi. On modèle d’après les plâtres et on dessine d’après la bosse. La séance est divisée en 2 parties. Une pour dessiner, une pour modeler. […] Aussitôt que j’aurai 15 ans, je pourrai suivre les cours du soir et dessiner et modeler d’après le modèle vivant. » (lettre du 18 avril 1860).
Il consacre ses après-midis à dessiner au Louvre, et y passe la journée entière lorsqu’il n’y a pas cours. Ses lettres rapportent des détails pratiques sur le fonctionnement de ces institutions : il faut par exemple acheter un morceau de toile cirée pour mettre sous les pieds de son chevalet afin de ne pas rayer les parquets du musée.
Il s’attache à expliciter des détails organisationnels et à rendre compte à ses parents de ses observations et expériences.
Mes chers parents,
J’ai reçu votre lettre samedi matin. On attend Maman avec grande impatience. Ces dames voudraient que tu ne restes pas aussi longtemps à Angers en venant à Paris puisque nous devons y retourner en revenant alors tu aurais plus de temps à rester à Paris.
Je continue à aller au Louvre, j’ai déjà fait huit dessins et commencé un.
J’ai reçu une lettre de Louis lundi matin et lui ai répondu courrier pour courrier. Il me demande des plumes à dessin.
M. Morel-Fatio doit demander au ministre de la marine à ce que l’on prolonge le séjour de M. Melin de 2 mois ; il n’en est pas fâché et je crois que si le Ministre accorde, il ne demandera pas mieux.
J’ai été hier soir chez Pichon. Nous avons été faire une grande course. Il m’a encore donné rendez-vous pour demain. Un soir qu’il fera mauvais temps, il me montrera à faire danser les pantins sur une table.
Ces dames vous disent bien des choses à tous et désireraient que Maman parte le 1er au lieu du 4. Tu me diras comment ma tante Nayel a trouvé Le Faouët. Embrasse Maman Nayel.
Souhaite le bonjour de ma part à tous les oncles, tantes, cousins, cousines & & & à tous les camarades. Dis à Charlot de ne pas oublier les recommandations que Louis lui a faites et qu’il vient de me renouveler dans sa dernière lettre pour quand il reviendra en vacances.
L’eau de la Seine n’est pas celle qu’on trouve à Keroman. Si chaud qu’il ferait, je ne voudrais jamais me jeter à l’eau dans cette rivière-là. La Vilaine est encore plus jolie.
Enfin ne m’oubliez près de personne.
Je vous embrasse
A. Nayel
J’ai oublié de vous dire que dimanche dernier, j’ai été avec Pichon et sa femme et M. et Mme Melin au Père Lachaise. Il y a de très beaux morceaux de sculpture.
Le tombeau d’Elois et d’Abellare (sic), du général Foix, de Camille Ferrier, de Raspail, etc.
La prochaine fois, nous irons au Jardin des plantes.
Même si la plupart des lettres commencent par « Mes chers parents », on devine le dialogue privilégié avec son père, et on y lit en retour l’engagement de Joseph NAYEL à encourager les aptitudes d’un fils prometteur.
(Buste de Joseph NAYEL par Auguste NAYEL, sans date, entré dans les collections du musée départemental breton, Quimper. Avant restauration.)
Le caractère implicite des formules utilisées pour désigner des personnes, lieux ou institutions laissent à penser qu’il connait les interlocuteurs évoqués, et que père et fils partagent de nombreuses références.
Seule exception pour le château de Versailles dont le jeune Auguste éprouve le besoin de commenter la découverte :
« Tu ne peux pas te figurer ce que c’est que le musée de Versailles. S’il n’y avait pas de gardien dans chaque salle, on s’égarerait et on ne pourrait plus en sortir. » (lettre non datée).
(à suivre)
Repères :
Très intéressant !