On ne peut pas être bon partout
Si le talent d’Auguste NAYEl en matière de sculpture est sans conteste, ses qualités pédagogiques n’étaient, semble-t-il, pas au même niveau…
Au risque de jeter un énorme pavé dans la crique du Pérélo, c’est en tout cas ce que révèlent les notices individuelles annuelles du ministère de l’Instruction publique conservées en série T aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (département siège du rectorat de l’établissement d’enseignement), comme celles de René NAYEL et Marie LE COZ que nous avons déjà explorées.
Bien que sa carrière d’enseignant avait commencé bien avant, il semble qu’elles n’aient été mises en place qu’à partir de 1901. C’est en tout cas ce que laissent supposer les dossiers d’Auguste NAYEL et de Joseph LE COZ.
Ces notices sont rédigées durant le 1er trimestre de chaque année civile.
Le recto récapitule en quelques dates le déroulé de carrière ; et l’enseignant peut porter un vœu. Chaque année jusqu’en 1905, Auguste NAYEL exprime le souhait d’être promu à la 1ère classe de son emploi.

Divisé en 3 parties, le verso est consacré à l’avis du chef d’établissement, de l’inspecteur d’académie et du recteur.
En ce qui concerne Auguste NAYEL, l’avis du chef d’établissement ne varie pas beaucoup au fil des 7 notices du dossier :
février 1901 : M. NAYEL est chargé de l’enseignement classique. Les résultats ne sont pas aussi bons qu’on pourrait le demander. Quelques rares élèves font des progrès. L’ensemble est faible. Un répétiteur est chargé de la surveillance.
mars 1902 : Je ne puis que répéter ce que j’ai déjà dit de M. NAYEL. Il est très dévoué mais manque d’autorité nécessaire pour obtenir des résultats satisfaisants. Aussi, peu d’élèves profitent réellement de cet enseignement.
mars 1903 : M. NAYEL obtient peu de résultats ; cela tient évidemment pour une bonne part à son insuffisance au point de vue disciplinaire : il punit beaucoup et sans effet appréciable. Un certain nombre de classes sont surveillées. Ce système est loin d’être parfait, le répétiteur n’ayant pas de sa liberté d’action. L’enseignement de M. NAYEL laisse aussi à désirer et M. HIRSCH s’est montré peu satisfait.
A partir de 1904, le proviseur cherche explicitement à se débarrasser de ce professeur peu efficace, et comme souvent dans ce cas, la perspective d’une promotion pourrait sans doute faciliter un départ.
mars 1904 : M. NAYEL obtient des résultats avec les candidats aux Écoles, mais dans les autres classes, il manque d’autorité sur les élèves : tout en punissant beaucoup, il ne réussit pas à obtenir un travail sérieux. Pour traduire toute ma pensée, je dirai qu’il est plus artiste que professeur. En raison de son âge et de sa bonne volonté, je proposerai M. NAYEL pour une promotion.
Auguste n’a cependant de cesse d’appuyer autant son parcours artistique que son ancienneté en précisant chaque année qu’il enseigne au lycée de Lorient depuis décembre 1882, qu’il est titulaire du certificat d’aptitude à l’enseignement du dessin pour le 1er degré depuis août 1881 et de celui pour l’enseignement supérieur depuis août 1885.

Malgré cela, la promotion tarde à arriver.
février 1905 : M. NAYEL obtient des résultats peu sensibles, sauf cependant avec les élèves du cours Saint-Cyr et de la classe de Marine pour lesquels il y a une sanction à l’examen. Cela tient à deux choses : d’une part M. NAYEL manque d’autorité sur les élèves ; de l’autre, tout en étant un excellent artiste, il ne sait pas les intéresser. En raison de sa grande ancienneté de promotion (8 ans) et du mal qu’il se donne, j’ai néanmoins proposé M. NAYEL pour une promotion.
Au vue du commentaire du proviseur, on imagine volontiers Auguste dépassé par des classes agitées, difficilement contrôlées par des surveillants impuissants. Au regard de mes propres souvenirs de collège, la difficulté de l’enseignement du dessin ne s’est pas arrêtée à l’expérience de notre aïeul…
Le détail des notices annuelles donne à lire les tentatives d’organisation déployées par le censeur du lycée lors de la répartition des niveaux pour lui conserver les classes préparatoires et lui retirer les plus jeunes.

Enfin !
La notice de 1906 atteste que la promotion tant attendue est enfin attribuée ! Elle se traduit évidemment par une augmentation de salaire (de 2 400 à 2 600 francs). Auguste bénéficie même d’un effet rétroactif au 1er janvier 1905 !!

A quel âge est-on vieux ?
Le critère de l’âge est fréquemment avancé dans les avis du chef d’établissement et du recteur. En 1901, alors qu’Auguste n’a que 56 ans, il est qualifié par le recteur de « digne et beau vieillard » ; en 1907, de “professeur âgé” par le proviseur :
5 janvier 1907 : Professeur âgé, obtiendrait de bons résultats si ses cours étaient bien tenus : je suis contraint d’en faire surveiller la plus grande partie. Je demande que ce fonctionnaire riche et sans charges de famille – le fils est lieutenant d’infanterie de marine – soit admis au bénéfice d’une retraite proportionnelle en juillet prochain.
L’administration donne raison au chef d’établissement, et la carrière d’Auguste NAYEL au lycée de Lorient s’arrête à l’été 1907, à l’âge de 62 ans. La coïncidence avec les débats d’actualité est purement fortuite ! (on verra d’ailleurs dans une prochaine chronique qu’il s’agit d’un congé et non d’une retraite…). Les arguments retenus n’en sont pas moins surprenants : une appréciation de l’aisance financière et de la réussite du fils provoquerait aujourd’hui bien des réactions !!
L’enseignement du dessin, parent pauvre de l’Instruction publique ?
Au fil de ces notices, en dépit de la promotion obtenue, le proviseur semble avoir été peu appuyé par sa hiérarchie. Sur les mêmes périodes, les notices de Joseph LE COZ enseignant de mathématiques dans le même établissement comptent des mentions régulières des inspecteurs et du recteur (et Joseph ne manque pas de s’adresser directement à lui à plusieurs reprises).
Le recteur n’intervient que 2 fois sur les fiches d’Auguste : la 1ère fois en 1901 comme déjà mentionné (“Digne et beau vieillard, mais peu d’autorité”) et l’autre en février 1907 en soulignant sa distance avec l’intéressé : “Artiste de talent m’a-t-on dit mais professeur âgé, sans autorité au lycée. Résultat médiocre”.
Qu’en penser ?
Difficile de ne pas se laisser convaincre par la récurrence de ces appréciations médiocres. On note toutefois qu’Auguste NAYEL anime depuis 1882 un cours municipal de dessin créé à son initiative qui a su trouver sa place dans la vie lorientaise et répondre aux besoins de publics variés. On retient aussi la lettre qu’un de ses anciens élèves, J. LE CORRE fabricant de meubles à Auray lui adresse à l’occasion de la réalisation du monument d’Arzano en 1908 :


La durabilité du cours municipal confirme l’engagement d’Auguste NAYEL pour l’enseignement de son art. Sans qu’on ne sache précisément ce dont il s’agit, sa correspondance le désigne d’ailleurs porte-parole d’une démarche collective à ce sujet en direction de son député :




Dans le même temps, il s’adresse à M. de GOULAINE, sénateur - dont il a réalisé le buste, ainsi que celui de son épouse, quelques années plus tôt -.


On ne peut s’empêcher de penser que si la démarche est évoquée comme collective, la date correspond avec l’attribution de sa promotion… Les professeurs de dessin avaient-ils besoin de faire appuyer collectivement leurs avancements ou s’agit-il d’un tout autre sujet ?
Un enseignement pourtant précieux
Cette exploration confirme toutefois la place du dessin dans l’enseignement, en particulier pour les classes préparatoires : il est essentiel pour la topographie et la cartographie (pour les élèves de Saint-Cyr) et pour le niveau “Angers”. Il est probable que ce niveau désigne les classes préparant à l’école angevine dispensant un enseignement "moderne et technique" de technicien et ingénieur (parcours qu'avait suivi Louis, le frère d'Auguste avant d'entrer aux chemins de fer). Les cours y sont répartis entre “dessin d’imitation” (1 cours de 2h et 1 cours d’1h 1/2 en 1906) et “dessin géométrique” (2h). C’est également des cours de géométrie qui sont dispensés aux élèves de la 6e à la 3e.

Epilogue
Si l’on reste donc circonspect quant à ses qualités pédagogiques, à la différence d’un Emile CHARTIER (1868-1951), plus connu sous le nom d’ALAIN, professeur de philosophie, qu’il a côtoyé dans la salle des professeurs, Auguste NAYEL reste néanmoins une personnalité marquante du lycée de Lorient.
Le récit de ses obsèques - qui fera l’objet d’une prochaine chronique témoigne de sa stature dans la communauté éducative.
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