Cet oncle d’Amérique
Les élections présidentielles aux Etats-Unis : un prétexte pour partir sur les traces de Vincent NAYEL, frère ainé de notre aïeul Joseph, figure emblématique de ce blog.
Vincent Désiré NAYEL est né à Lorient le 13 janvier 1798. Il porte le même prénom que son père (1773- ?), capitaine au grand cabotage et « absent pour les services de la République » à sa naissance. Leur mère est Françoise Angélique BOUFFE (1775-1865) fille d’un « marchand tenant billard », originaire de Normandie et receveur d’octroi à Lorient. Les parents et leurs 3 fils (Vincent, Joseph né en 1801 et Julien né plus tardivement en 1817) habitent place de la Liberté.
On se souvient de Vincent NAYEL père pour la démarche qu’il a engagée afin d’inscrire définitivement l’orthographe du patronyme familial.
Grâce à son journal, les lettres qui ont été conservées et les traces administratives, on arrive à connaître assez bien la carrière de Joseph, et même sa personnalité.
On n’a en revanche aucun indice sur ce que fut la vie de Julien…
Et c’est une page de l’album photos d’Antoinette qui nous invite à traverser l’Atlantique pour tenter de reconstituer celle de Vincent au travers de sources assez lacunaires, parfois même contradictoires...
La presse de Savannah (Georgie) conserve les premières traces de la présence de Vincent outre Atlantique. Dès 1818, son nom est mentionné pour des lehttres à retirer à la poste restante. Il en est de même à Augusta en 1826, 1829 et 1830, ce qui laisse à penser qu’il n’avait alors pas d’adresse fixe.
Vers 1825, au coeur de la “cotton belt”, Augusta et Savannah n’ont pas encore un siècle et vivent de la culture du coton et du tabac. Aucune trace que Vincent ait lui aussi tenté sa chance dans ces activités, hormis le fait qu’il vende à plusieurs reprises des terres en indiquant pour certaines qu’elles sont en terre Cherokee, et pour d’autres qu’elles sont propres à la culture du coton…

Sans surprise en regard de l’époque et du territoire, Vincent NAYEL profite de l’esclavage. A deux reprises au moins, il fait passer des annonces promettant des récompenses pour retrouver des esclaves qui se sont enfuit de chez lui. Les textes en sont répugnants.
La presse conserve aussi quelques mentions d’aventures commerciales : des annonces pour indiquer à ses clients une nouvelle installation en 1821 (sans préciser toutefois de quoi il s’agit, laissant deviner ainsi une notoriété déjà installée) et pour faire connaître un établissement qu’il semble avoir acquis vers 1831 à Savannah où l’on peut jouer au billard (inspiration de son grand-père maternel ?) en dégustant quelques douceurs et où il organise des soirées avec tirage au sort de porcelaines de Chine ou autres lots.



Notable de la ville, Vincent NAYEL est désigné “city constable” de Savannah en 1833.
Mais c’est à Charleston, Caroline du sud qu’il semble durablement s’installer à partir de fin 1837 où les annuaires le mentionnent comme “boulanger”.
Peut-être un héritage d’un premier apprentissage en France ? Le Georgia courier mentionne qu’il vend une boulangerie à Augusta dès 1831. On se souvient que son frère Joseph était également mentionné « boulanger » en 1824 lors de son mariage (et il semble que son petit-fils ait également été apprenti boulanger)… Peu probable néanmoins qu’il continue à pétrir, mais davantage qu’il soit propriétaire de fournils et de magasins.


1er novembre 1843 : wedding day chez les NAYEL à Charleston
Le Révérend BURKE célèbre le mariage de Nathalie F. A.NAYEL, fille unique de Vincent NAYEL avec James Edward GAUDRY de Savannah. La famille paternelle de James est originaire de Bordeaux. Son père a prospéré dans la banque. Sa mère, fille de planteur, était née en Jamaïque.
En 1845 le couple donne naissance à un petit garçon que l’on prénomme Vincent, comme son grand-père maternel.
Cette même année, à Lorient, Joseph et Constance donnent le jour à Auguste, leur 4e enfant (une petite fille née en 1833 avait reçu le même prénom que celui de sa cousine d’Outre Atlantique, mais était morte à 18 mois). Auguste avait donc un oncle du même âge que lui.
Mais l’année suivante, le 4 juin 1846, Nathalie meurt à Charleston. L’annonce publiée dans le Savannah daily republican partage l’oraison qui lui est adressée :
« Douée naturellement d'un caractère que l'éducation avait contribué à perfectionner, et de sentiments qu'un profond sens de la religion lui permettait de diriger et de contrôler, elle était aimée de tous au sein du cercle dans lequel elle vivait, gentille, affectueuse, indulgente et dévouée.
Personne ne pouvait la côtoyer sans l'aimer et l'estimer. Elle accepta sa longue et grave maladie avec courage et patience, et ne craignit pas l'approche de la mort. Gardant jusqu’au bout sa lucidité, elle s’acquit de tous les préparatifs qu'un chrétien doit accomplir avant son passage vers cette vraie maison, acceptant que la vie n'est qu'un voyage bref et chaotique.
Elle prit congé de tous avec calme, demandant seulement que l'amour qui lui avait été témoigné dans sa vie soit désormais reporté vers le petit garçon qu'elle laissait derrière elle. Tous ceux qui sont touchés par la peine de son départ ne pourront oublier les mots de réconfort qu'elle a prononcés, ni le modèle de résignation sereine qu'elle a partagé, donnant à lire que "bien que morte, elle parle encore" pour consoler ses parents effondrés, son mari affligé, et ses nombreux parents et amis en deuil. Bienheureux ceux qui sont morts dans le Seigneur. » Savannah Daily Republican 12 juin 1846
Une vie si courte pour Nathalie qu’il n’y a même pas de photo d’elle dans l’album d’Antoinette. Des vies si loin qu’Antoinette ne prend pas la peine de mentionner le nom de l’épouse de Vincent…
Madeleine ou Coralie ?
Un dépouillement réalisé par le Centre de généalogie et d’histoire des populations migrantes a relevé le mariage de Françoise Angélique NAYEL et de Jacques Edouard GAUDRY à Charleston. La date, le nom du marié et du père de l’épouse correspondent. Les prénoms de la mariée peuvent correspondre au F. A. accolé au “Nathalie” mentionné sur les coupures de presse déjà identifiées. La différence flagrante concerne en revanche la mère de la mariée : il s’agit pour eux de Marie Magdeleine DELANOIX alors que plusieurs articles de presse indiquent la mort le 12 novembre 1870, à 74 ans, de Coralie REINGEARD, épouse de Vincent NAYEL depuis 50 ans.


A défaut de pouvoir accéder aux actes eux-mêmes, l’énigme reste entière. Peut-être retrouvera-t-on des indices dans les courriers de Joseph qu’il reste à dépouiller ? La mention de 50 ans de vie commune indique toutefois que Vincent s’est marié peu de temps après son arrivée à la toute fin des années 1810.
Prospérité sans postérité
Vincent NAYEL meurt à son tour le 8 septembre 1876, à 79 ans. Veuf, sans autre enfant que cette fille décédée, mais avec un petit-fils de 31 ans. Vincent GAUDRY avait 1 an au décès de sa mère, et 13 lorsque nait John Julius, son 1er demi-frère. Son père s’est en effet remarié et 6 autres demi-frères et sœurs ont très vite complété la famille.

Dès janvier 1877, c’est James GAUDRY qui passe plusieurs annonces dans la presse concernant la succession de son 1er beau-père.
Où est Vincent GAUDRY, héritier légitime de son grand-père ?
Une photo de l’album d’Antoinette le montre vêtu de l’uniforme des Savannah civil guards avant qu’il ne fasse le voyage inverse de son grand-père, choisissant de revenir en Europe…
C’est une autre histoire que nous explorerons très prochainement…
Les cousins d'Amérique font toujours rêver. La presse est riche d'anecdotes, et les nécro sont savoureuses, quand tu es mort tu as toutes les qualités. Bravo pour ton blog
Un bel article, quelle richesse, cet album de photographies anciennes !
J'ai des ancêtres et des cousins émigrés aux États-Unis, mais ils n'ont pas fait fortune... Ca m'a beaucoup plu de partir à leur recherche et d'essayer d'imaginer leurs vies.
Marthe, du blog Oreillettes & Poffertjes