[rappel des épisodes précédents, à retrouver via la page d’accueil] : La carrière de professeur d’allemand de René NAYEL (1883-1941) avait commencé à Brive en 1911, s’était poursuivie à Dinan à partir de septembre 1913, mais avait été interrompue par la guerre. René avait alors été affecté à l’interprétariat du camp de prisonniers de Bressuire en mai 1915, et à celui de Dinan l’année suivante tout en reprenant quelques heures de cours au lycée. A la rentrée 1917, il retrouve un poste complet de professeur au lycée de Dinan. Sans doute le besoin d’enseignants est-il devenu plus prioritaire que la présence auprès des prisonniers ?
Chanceux au regard de toutes les familles déchirées par le conflit, René et Marie bénéficient d’une vie de couple presque normale durant les 2 années scolaires qui suivent. La guerre pourrait sembler loin… Mais le 1er janvier 1917, la disparition tragique d’Yves LE COZ, le demi-frère de Marie, fracasse la famille.

De l’enseignement à l’administration
René NAYEL fait l’objet de notations et d’inspections quasiment toutes élogieuses, louant la qualité de ses cours et son engagement professionnel. Dès novembre 1918 toutefois, il fait part de son souhait de privilégier l’administration d’un établissement à l’enseignement.
Son dossier, conservé aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine (siège du rectorat) détaille son déroulé de carrière. Formulaires, notes, lettres et billets témoignent - dans les deux sens - de la parfaite maîtrise de la communication hiérarchique : déférence constante dans le sens ascendant, alternance d’ellipses et formules lapidaires dans le sens descendant, avec un art avéré de la délégation lorsque nécessaire… La plupart de ces pièces n’étaient, bien entendu, pas communicables à l’intéressé.
« Monsieur NAYEL, professeur d’allemand au collège de Dinan, adresse à monsieur le ministre une demande en vue d’obtenir un poste de censeur ou de censeur délégué. Monsieur NAYEL était, il y a quelques temps encore, candidat au principalat. Il change pour le censorat. L’idée est peut-être bonne d’autant que Monsieur NAYEL est encore jeune (35 ans) et que le sens complet de la direction pourrait parfois lui manquer. Il gagnera donc à être guidé par l’expérience d’un proviseur. Monsieur NAYEL a d’ailleurs presque toutes les qualités requises pour administrer. Il est actif, a sur les élèves une autorité de bonne [ ?]. Fort bien élevé, bel homme, de mise soignée. (…) ». (l’inspecteur d’académie, 10 janvier 1919)


1er poste de censeur au lycée de Pontivy (sept 1919 - août 1921)
La nomination escomptée arrive le 10 juin, et René NAYEL s’empresse d’en remercier le recteur :
« J’ai reçu de monsieur le ministre l’avis de ma nomination au lycée de Pontivy en qualité de délégué censeur. A propos de cette nomination qui apporte une prompte et agréable solution aux demandes que j’avais entreprises, je me permets de venir vous remercier de la bienveillance que vous m’avez témoignée et qui a été un facteur de succès. Veuillez, Monsieur le Recteur, croire à ma reconnaissance et à mon respectueux dévouement. »

René fait donc la rentrée de septembre 1919 dans cette nouvelle fonction au lycée de Pontivy où sa famille et lui bénéficient d’un logement de fonction. Marie a suspendu sa carrière ; elle attend leur 3e enfant, Alain, qui nait le 5 avril 1920.
S’il semble trouvé pleinement sa place dans cette fonction de censeur délégué, René aspire à un poste de censeur titulaire. Il en fait la demande dès l’automne 1919, et précise quelques mois plus tard au recteur :
« En ce qui concerne la résidence, je me mets à la disposition de l’administration en spécifiant toutefois que si le poste de censeur au lycée de Quimper se trouvait vacant je le préfèrerais à d’autres. Ma famille et celle de ma femme habitent en effet Lorient. Les relations entre les deux villes sont vraiment faciles. » (20 juin 1920 - les mouvements et affectations de décident en juillet).
L’argument est appuyé par le proviseur
« les raisons de famille qu’il invoque méritent d’être prises en considération. D’autres part, les qualités de tact et de mesure dont il fait preuve me paraissent, malgré la courte durée de vie de sa délégation, le rendre apte aux fonctions qu’il sollicite »
et par l’inspecteur d’académie
« Comme je l’ai marqué dans ma notice annuelle sur M. NAYEL, j’ai trouvé ce fonctionnaire très à sa place et à son aise dans la partie extérieure et matérielle de son service. Le moment où M. le Proviseur, qui a pu voir M. NAYEL dans son action plus proprement morale, apprécie par ailleurs ses qualités de tact et de mesure. Je crois pouvoir donner un avis favorable à la demande produite. »


René apprend que le poste de censeur au lycée d’Angers se libère et fait part de sa motivation. Une note du proviseur du lycée de Pontivy datée du même jour appuie à nouveau :
« Je ne puis que donner l’avis le plus favorable à cette demande. M. NAYEL est un collaborateur intelligent et dévoué. Je n’ai qu’à me louer de ses services et ne le verrai partir qu’avec beaucoup de regret. » Tout comme l’inspecteur d’académie « M. NAYEL s’acquitterait très bien de sa tâche dans ce poste, même important, fut-ce Angers, où il serait possible et équitable de l’appeler. Je viens de passer plusieurs jours à Pontivy où j’ai vu de près à l’œuvre ce très avantageux [ ?] M. NAYEL et où j’ai recueilli de divers côtés (maire, sous-préfet, conseillers et auxiliaires du lycée) les meilleurs renseignements pour l’intéressé. »
Cette demande n’aboutit néanmoins pas.
René NAYEL la réitère l’année suivante en sollicitant dès le printemps un rendez-vous auprès du recteur et du directeur de l’enseignement secondaire au ministère de l’Instruction publique. Cette demande n’est toutefois pas du goût du recteur qui fait passer un billet à l’inspecteur :
« A la dernière séance du comité annuel, les 2 directions (enseignement secondaire et enseignement primaire) ont insisté pour qu’on fasse pénétrer dans le personnel la conviction de l’inutilité des voyages coûteux et d’audiences desquelles on ne peut guère rapporter que des probabilités incertaines. En particulier, M. NAYEL dont le mérite est reconnu, ne pourrait rien apprendre de ferme à Pâques. Les mouvements s’élaborent en juin et juillet, et jusque là aucune précision ne peut être fournie. Je puis dire cependant qu’on a le vif désir de donner à M. N. satisfaction. Si cependant, ce fonctionnaire insiste, je transmettrai sa demande. »
Information rapportée à René, qui ne manque d’y répondre :
« Monsieur le Proviseur du lycée m’a donné communication de la lettre que vous avez bien voulu écrire à Monsieur l’Inspecteur d’académie au sujet de la demande d’audience que j’avais adressée à Monsieur le Directeur de l’enseignement secondaire. J’ai été très vivement touché de l’intérêt que vous voulez bien me porter et des bons termes dans lesquels vous vous êtes exprimé à mon égard. Veuillez, je vous prie, trouver ici l’assurance de ma profonde gratitude. Je me rends volontiers à vos arguments et renonce à me rendre à Paris au cours des prochaines vacances de Pâques. Certes, je serais désireux de pouvoir, plus tard, présenter personnellement mes devoirs à Monsieur le Directeur de l’enseignement secondaire qui ne me connait pas. » (16 mars 1921).
Note sur laquelle est apposée un message de l’inspecteur :
« (…) M. NAYEL m’adresse la réponse ci-contre qui marque un désir non dissimulé de voir M. le Directeur. Je laisse à la sagesse de celui-ci le soin de décider. »
Passage à Quimper
On ne sait pas si ce rendez-vous parisien a lieu, mais la nomination attendue arrive le 27 juillet 1921 et René NAYEL s’empresse à nouveau d’en remercier le recteur
« J’ai reçu hier de Monsieur le Ministre mon avis de nomination au lycée de Quimper en qualité de censeur titulaire. Je ne veux pas tarder à venir vous remercier de cet heureux événement qui est dû, j’en suis sûr, en grande partie à la bienveillance et à l’intérêt que vous avez bien voulu me témoigner. C’est avec joie que je reste dans l’académie de Rennes où j’ai fait toutes mes études (…)”
Le séjour à Quimper ne dure néanmoins qu’une année. Il bénéficie d’une excellente inspection, et dès la rentrée de septembre 1923, René NAYEL est nommé censeur au lycée de Brest.
Tonnerre de Brest…
Après ces deux 1ères expériences a priori sans difficultés, le séjour dans la sous-préfecture du Finistère n’est pas sans difficulté, notamment en 1924. “L’incident Talbot” tel qu’il est désigné fait l’objet d’un rapport du proviseur adressé au recteur. On note qu’il y parle de lui-même à la 3e personne, appuie la taille de son établissement et ses qualités de direction...
« Ce fonctionnaire [le censeur NAYEL] s’est rendu compte de son erreur. Le proviseur lui a très nettement dit sa façon de penser et ne s’est départit d’une attitude très froide que le jour où son subordonné a prouvé par ses actes qu’il était convaincu de son erreur. M. l’inspecteur d’académie lui a fait ses observations personnelles dans un entretien particulier. Certainement, le censeur n’a pas voulu mal faire : quand la circulaire lui a été présentée, il n’a pas eu le réflexe immédiat qui devait le pousser à rendre compte sans délai à son chef. Cette erreur est la conséquence de l’expérience antérieure du censeur. Avant de servir à Brest, M. NAYEL étaient dans des lycées moins importants où le proviseur assure, c’est un fait, une partie des fonctions revenant normalement au censeur, celui-ci restant [ ?] par le service qui incomberait plutôt au surveillant général. Il n’a pas été rendu familier avec la fonction « œil du chef » fonction que par tempérament des proviseurs ne donnent pas toujours à leurs censeurs même dans les grands lycées.
L’incident TALBOT aura été pour M. NAYEL une excellente leçon de choses dont il devra tirer parti. Le proviseur a rendu sa confiance à M. NAYEL en adaptant naturellement à la personnalité de ce dernier son contrôle et sa surveillance personnelle qui, dans la suite, évolueront suivant les évènements dans un sens plus strict ou plus large. » (13 mars 1924)
Il faudra toutefois attendre la dernière ligne de la notice individuelle annuelle et la conclusion du recteur pour avoir quelque information sur les contours de l’affaire.
Il semble qu’on peut percevoir dans les écrits du proviseur des traits de sa personnalité. Versatilité ou hypocrisie ? 10 jours après son rapport, “l’absolution” qu’il indiquait avoir accordée à son censeur ne semble pas si engagée :
« S’acquitte bien de de sa fonction de surveillance de la discipline, de contrôle de l’exécution du service dans ses détails, toutes choses bien définies dont il a pris la routine dans de précédents établissements. Depuis près d’un an à Brest, ne paraît pas encore s’être rendu compte du caractère plus délicat de la charge du censeur qui dans les lycées [ ?] se détache de la fonction du surveillant général pour s’approcher de celle du proviseur : en communauté entière avec ce dernier, avoir un œil vigilant pour les services, s’enquérir de l’esprit qui règne dans la maison , régler l’autorité qu’il détient uniquement de son chef immédiat tout incident qui [ ?] ou en rendre compte sans délai, en un mot doubler le proviseur dont il est le représentant permanent. Ce défaut [souligné], s’il persistait, serait de nature à laisser croire que M. NAYEL n’a pas l’envergure qui pourrait le distinguer pour un avancement. Au demeurant, tenue excellente, d’une grande correction dans ses relations avec tout le personnel. » (le proviseur 23 mars 1924)

L’inspecteur est plus compréhensif et relativise le propos du chef d’établissement :
« Un incident récent a pu justifier quelques-unes des remarques et des notes de M. le proviseur. Mais M. NAYEL s’est ressaisi et a compris. Il faut lui faire crédit. Ce défaut, nous le lui avons signalé et il est sur ses gardes. Depuis ce jour, de l’aveu même de son proviseur, sa collaboration donne satisfaction. Charges de famille lourdes (1 enfant de plus).” L’inspecteur d’académie, 10 avril 1924
Au milieu de cet épisode difficile, Marie donne en effet naissance à leur 4e enfant, René, le 2 avril 1924.


En dépit des efforts de René, le recteur se range du côté du proviseur et livre enfin la raison du problème :
« Il reste que l’incident auquel on fait allusion aurait pu prendre une tournure sérieuse (histoire d’une circulaire qu’un prof lança dans le lycée à l’insu du proviseur et que le censeur avait signé sans le prévenir !). Le censeur manqua doublement à son devoir. Il aura besoin de temps pour faire oublier cette défaillance. » (mai 1924)
1924, définitivement annus horribilis
En plus de leurs 4 enfants, Marie et René ont également la garde de leur neveu Louis NAYEL (1913-1957), fils de Marguerite (la jeune sœur de Marie) et de Louis, le cousin de René.
Louis NAYEL (père) est administrateur colonial à Madagascar. Il est revenu en 1923 pour quelques semaines avec ses 5 enfants. L’aîné des garçons, Louis, est resté en France pour entrer en 6e alors que le reste de la famille est reparti. Il est scolarisé dans les lycées où son oncle est en poste.
La rentrée 1924 est donc la 2e de Louis en France. Le 5 octobre, René NAYEL s’adresse à nouveau au recteur… sur papier de deuil :
« Monsieur le Recteur, J’ai été très heureux d’apprendre qu’une bourse d’internat de 1 413 francs avait été accordée à mon neveu NAYEL Louis, élève de 5eA au lycée de Brest. Je ne doute pas que votre intervention, monsieur le recteur, n’ait largement contribué à l’octroi de cette faveur à cet enfant qui est l’ainé des garçons d’une famille de six enfants. C’est une preuve nouvelle de la bienveillance que vous n’avez cessé de témoigner depuis de longues années à ma famille et à moi. Veuillez trouver ici l’expression très sincère de ma respectueuse et fidèle reconnaissance.
Hélas, cette bonne nouvelle est arrivée au moment où une douloureuse catastrophe vient de nous mettre tous en deuil et de frapper bien durement mon pauvre petit neveu. Sa mère, ma belle-sœur, deuxième fille de mon beau-père Joseph LE COZ, professeur honoraire au lycée de Lorient, est décédée à Madagascar des suites de la naissance de son sixième bébé. Notre douleur à tous est sans borne et le coup a été terrible pour mon malheureux beau-père, si atteint lui-même depuis trois ans dans sa santé. C’est cette triste circonstance qui, ajoutée au travail de la rentrée des classes, m’a empêché de vous dire plus tôt nos remerciements pour l’heureuse suite donnée à la demande de bourse faite par mon beau-frère pour son fils.
Ma femme se rappelle avec déférence à votre souvenir, et je suis toujours, monsieur le Recteur, votre respectueusement dévoué et reconnaissant René NAYEL, censeur des études lycée de Brest »

En dépit de ses demandes répétées de mutation et des relations que l’on imagine difficiles avec son proviseur, René NAYEL devra attendre l’été 1927 pour avoir un nouveau poste.
Dans de prochaines chroniques, nous le retrouverons à Brest avant de le suivre à Nantes, Alençon et Lorient...
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